Psaume 128 (127) - "Bénédiction sur le fidèle" : Ps 128, 1 : Cantique des montées. Heureux tous ceux qui craignent Yahvé et marchent dans ses voies !
Le psaume 128 (127 selon la numérotation gréco-latine) est un "Cantique des montées" qui célèbre le bonheur domestique que Dieu accorde au juste, selon la doctrine des sages sur la rétribution temporelle.
Le Psaume 127 n'est pas autre chose qu'un petit tableau de la fécondité d'une famille juive récompensée ici-bas de sa fidélité envers Dieu. Il vaut aussi bien pour une famille chrétienne, féconde et unie : c'est pourquoi ce psaume a fourni l'Introït, le Graduel, et la Communion de la Messe de Mariage. Mais Jésus a établi un repas de famille, l'Eucharistie, qui est aussi le banquet de l'Eglise (remarquer comme, d'une simple famille la perspective de notre psaume se porte jusque sur Israël). On chante donc le psaume 127 aux Vêpres du Saint-Sacrement sous cette antienne, qui modifie légèrement le verset 3 : « Que les fils de l'Eglise soient comme des plants d'olivier autour de la table du Seigneur ». Ce psaume figure encore à l'office du Sacré-Cœur, sous une antienne empruntée à l'Evangile : « Venez à moi, vous tous qui êtes las et surchargés, et je vous soulagerai. Ainsi le psaume 127 se trouve évoquer la douceur de l'intimité avec le Christ.
Le Psaume 127 (128) : « Heureux qui craint le Seigneur et marche selon ses voies ! » en français (AELF) :
Ps 127, 01 : Heureux qui craint le Seigneur et marche selon ses voies !
Ps 127, 02 : Tu te nourriras du travail de tes mains : Heureux es-tu ! A toi, le bonheur !
Ps 127, 03 : Ta femme sera dans ta maison comme une vigne généreuse, et tes fils, autour de la table, comme des plants d'olivier.
Ps 127, 04 : Voilà comment sera béni l'homme qui craint le Seigneur.
Ps 127, 05 : De Sion, que le Seigneur te bénisse ! Tu verras le bonheur de Jérusalem tous les jours de ta vie,
Ps 127, 06 : et tu verras les fils de tes fils. Paix sur Israël !
Gloire au Père, au Fils, et au Saint-Esprit, pour les siècles des siècles. Amen.
Le Psaume 127 (128) en français (La Bible de Jérusalem, 1998) :
Ps 127, 1 : Cantique des montées. Heureux tous ceux qui craignent Yahvé et marchent dans ses voies !
Ps 127, 2 : Du labeur de tes mains tu te nourriras, heur et bonheur pour toi !
Ps 127, 3 : Ton épouse : une vigne fructueuse au fort de ta maison. Tes fils : des plants d'olivier à l'entour de la table.
Ps 127, 4 : Voilà de quels biens sera béni l'homme qui craint Yahvé.
Ps 127, 5 : Que Yahvé te bénisse de Sion ! Puisses-tu voir Jérusalem dans le bonheur tous les jours de ta vie,
Ps 127, 6 : et voir les fils de tes fils ! Paix sur Israël !
Gloire au Père, au Fils, et au Saint-Esprit, pour les siècles des siècles. Amen.
Le Psaume 127 (128) en latin (La Vulgate) :
Ps 127, 1 : Canticum graduum. Beati omnes qui timent Dominum qui ambulant in viis eius
Ps 127, 2 : Labores manuum tuarum *quia; manducabis beatus es et bene tibi erit
Ps 127, 3 : Uxor tua sicut vitis abundans in lateribus domus tuae filii tui sicut novella olivarum in circuitu mensae tuae
Ps 127, 4 : Ecce sic benedicetur homo qui timet Dominum
Ps 127, 5 : Benedicat te Dominus ex Sion et videas bona Hierusalem omnibus diebus vitae tuae
Ps 127, 6 : et videas filios filiorum tuorum pax super Israel
Gloria Patri, et Filio, et Spiritui Sancto. sicut erat in principio, et nunc et semper, et in saecula saeculorum. Amen.
Le Commentaire du Psaume 127 (128) du Pape François dans l'Exhortation Apostolique Post-Synodale : « Amoris Laetitia » Premier chapitre - A la lumière de la Parole (8-30)
8. La Bible abonde en familles, en générations, en histoires d’amour et en crises familiales, depuis la première page où entre en scène la famille d’Adam et d’Ève, avec leur cortège de violence mais aussi avec la force de la vie qui continue (cf. Gn 4), jusqu’à la dernière page où apparaissent les noces de l’Épouse et de l’Agneau (Ap 21, 2.9). Les deux maisons que Jésus décrit, construites sur le roc ou sur le sable (cf. Mt 7, 24-27), sont une expression symbolique de bien des situations familiales, créées par la liberté de leurs membres, car, comme l’écrivait le poète : « toute maison est un chandelier » (cf. Jorge Luis Borges, “Calle desconocida”, dans Fervor de Buenos Aires, Buenos Aires 2011, p. 23). Entrons à présent dans l’une de ces maisons, guidés par le psalmiste, à travers un chant qu’on proclame aujourd’hui encore aussi bien dans la liturgie nuptiale juive que dans la liturgie chrétienne :
Ps 127, 01 : Heureux qui craint le Seigneur et marche selon ses voies !
Ps 127, 02 : Tu te nourriras du travail de tes mains : Heureux es-tu ! A toi, le bonheur !
Ps 127, 03 : Ta femme sera dans ta maison comme une vigne généreuse, et tes fils, autour de la table, comme des plants d'olivier.
Ps 127, 04 : Voilà comment sera béni l'homme qui craint le Seigneur.
Ps 127, 05 : De Sion, que le Seigneur te bénisse ! Tu verras le bonheur de Jérusalem tous les jours de ta vie,
Ps 127, 06 : et tu verras les fils de tes fils. Paix sur Israël !
Toi et ton épouse
9. Franchissons donc le seuil de cette maison sereine, avec sa famille assise autour de la table de fête. Au centre, nous trouvons, en couple, le père et la mère, avec toute leur histoire d’amour. En eux se réalise ce dessein fondamental que le Christ même évoque avec force : « N'avez-vous pas lu que le Créateur, dès l'origine, les fit homme et femme ? » (Mt 19, 4). Et il reprend le mandat de la Genèse : « C’est pourquoi l'homme quittera son père et sa mère et s'attache à sa femme, et ils deviennent une seule chair » (Gn 2, 24).
10. Les deux grandioses premiers chapitres de la Genèse nous offrent l’image du couple humain dans sa réalité fondamentale. Dans ce texte initial de la Bible, brillent certaines affirmations décisives. La première, citée de façon synthétique par Jésus, déclare : « Dieu créa l'homme à son image, à l'image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa » (1, 27). De manière surprenante, l’« image de Dieu » tient lieu de parallèle explicatif précisément au couple « homme et femme ». Cela signifie-t-il que Dieu est lui-même sexué ou qu’il a une compagne divine, comme le croyaient certaines religions antiques ? Évidemment non, car nous savons avec quelle clarté la Bible a rejeté comme idolâtres ces croyances répandues parmi les Cananéens de la Terre Sainte. La transcendance de Dieu est préservée, mais, puisqu’il est en même temps le Créateur, la fécondité du couple humain est l’« image » vivante et efficace, un signe visible de l’acteur créateur.
11. Le couple qui aime et procrée est la vraie « sculpture » vivante (non pas celle de pierre ou d’or que le Décalogue interdit), capable de manifester le Dieu créateur et sauveur. C’est pourquoi, l’amour fécond arrive à être le symbole des réalités intimes de Dieu (cf. Gn 1, 28 ; 9, 7 ; 17, 2-5.16 ; 28, 3 ; 35, 11 ; 48, 3-5). C’est ce qui justifie que le récit de la Genèse, en suivant ce qui est appelé la « tradition sacerdotale », soit traversé par diverses séquences généalogiques (cf. 4, 17-22 .25-26 ; 5 ; 10 ; 11, 10-32 ; 25, 1-4.12-17.19-26 ; 36) : car la capacité du couple humain à procréer est le chemin par lequel passe l’histoire du salut. Sous ce jour, la relation féconde du couple devient une image pour découvrir et décrire le mystère de Dieu, fondamental dans la vision chrétienne de la Trinité qui, en Dieu, contemple le Père, le Fils et l’Esprit d’amour. Le Dieu Trinité est communion d’amour, et la Famille est son reflet vivant. Les paroles de saint Jean-Paul II nous éclairent : « Notre Dieu, dans son mystère le plus intime, n’est pas une solitude, mais une famille, puisqu’il porte en lui-même la paternité, la filiation et l’essence de la famille qu’est l’amour. Cet amour, dans la famille divine, est l’Esprit-Saint ». La famille, en effet, n’est pas étrangère à l’essence divine même (cf. Homélie à l’occasion de l’Eucharistie célébrée à Puebla de los Ángeles le 28 janvier 1979 : AAS 71 (1979), p. 184). Cet aspect trinitaire du couple trouve une nouvelle image dans la théologie paulinienne lorsque l’Apôtre la met en relation avec le « mystère »’ de l’union entre le Christ et l’Église (cf. Ep 5, 21-33).
12. Mais Jésus, dans sa réflexion sur le mariage, nous renvoie à une autre page de la Genèse, le chapitre 2, où apparaît un admirable portrait du couple avec des détails lumineux. Choisissons-en seulement deux. Le premier est l’inquiétude de l’homme qui cherche « une aide qui lui soit assortie » (vv. 18.20), capable de combler cette solitude qui le perturbe et qui n’est pas comblée par la proximité des animaux et de toute la création. L’expression originelle en hébreu nous renvoie à une relation directe, presque « frontale » – les yeux dans les yeux – dans un dialogue également silencieux, car dans l’amour les silences sont d’habitude plus éloquents que les paroles. C’est la rencontre avec un visage, un « tu » qui reflète l’amour divin et est « le principe de la fortune, une aide semblable à l’homme, une colonne d'appui », comme dit un sage de la Bible (Si 36, 24). Ou bien comme s’exclamera la femme du Cantique des Cantiques dans une merveilleuse profession d’amour et de don réciproque : « Mon bien-aimé est à moi, et moi à lui… Je suis à mon bien-aimé, et mon bien-aimé est à moi ! » (2, 16 ; 6, 3).
13. De cette rencontre qui remédie à la solitude, surgissent la procréation et la famille. Voici le second détail que nous pouvons souligner : Adam, qui est aussi l’homme de tous les temps et de toutes les régions de notre planète, avec sa femme, donne naissance à une nouvelle famille, comme le répète Jésus en citant la Genèse : « Il quittera son père et sa mère pour s'attacher à sa femme, et les deux ne feront qu'une seule chair » (Mt 19, 5 ; cf. Gn 2, 24). Le verbe « s’attacher » dans le texte original hébreu indique une étroite syntonie, une attachement physique et intérieur, à tel point qu’on l’utilise pour décrire l’union avec Dieu : « Mon âme s’attache à toi » chante l’orant (Psaume 63, 9). L’union matrimoniale est ainsi évoquée non seulement dans sa dimension sexuelle et corporelle mais aussi en tant que don volontaire d’amour. L’objectif de cette union est « de parvenir à être une seule chair », soit par l’étreinte physique, soit par l’union des cœurs et des vies et, peut-être, à travers l’enfant qui naîtra des deux et portera en lui, en unissant, non seulement génétiquement mais aussi spirituellement, les deux « chairs ».
Tes fils comme des plants d’oliviers
14. Reprenons le chant du psalmiste. En ce chant apparaissent, dans la maison où l’homme et son épouse sont assis à table, les enfants qui les accompagnent comme « des plants d’olivier » (Ps 127, 3), c’est-à-dire pleins d’énergie et de vitalité. Si les parents sont comme les fondements de la maison, les enfants sont comme les « pierres vivantes » de la famille (cf. 1P 2, 5). Il est significatif que dans l’Ancien Testament le mot le plus utilisé après le mot divin (YHWH, le « Seigneur ») soit « fils » (ben), un vocable renvoyant au verbe hébreu qui veut dire « construire » (banah). C’est pourquoi dans le Psaume 126, le don des fils est exalté par des images se référant soit à l’édification d’une maison, soit à la vie sociale et commerciale qui se développait aux portes de la ville : « Si le Seigneur ne bâtit la maison, en vain peinent les bâtisseurs… C'est l'héritage du Seigneur que des fils, récompense, que le fruit des entrailles ; comme flèches en la main du héros, ainsi les fils de la jeunesse. Heureux l'homme, celui-là qui en a rempli son carquois ; point de honte pour eux, quand ils débattent à la porte, avec leurs ennemis » (vv. 1.3-5). Certes, ces images reflètent la culture d’une société antique, mais la présence d’enfants est, de toute manière, un signe de plénitude de la famille, dans la continuité de la même histoire du salut, de génération en génération.
15. Sous ce jour, nous pouvons présenter une autre dimension de la famille. Nous savons que dans le Nouveau Testament on parle de « l’Église qui se réunit à la maison » (cf. 1 Co 16, 19 ; Rm 16, 5 ; Col 4, 15 ; Phm 2). Le milieu vital d’une famille pouvait être transformé en Église domestique, en siège de l’Eucharistie, de la présence du Christ assis à la même table. La scène brossée dans l’Apocalypse est inoubliable : « Voici, je me tiens à la porte et je frappe ; si quelqu'un entend ma voix et ouvre la porte, j'entrerai chez lui pour souper, moi près de lui et lui près de moi » (Ap 3, 20). Ainsi se définit une maison qui à l’intérieur jouit de la présence de Dieu, de la prière commune et, par conséquent, de la bénédiction du Seigneur. C’est ce qui est affirmé dans le Psaume 127 (128) que nous prenons comme base : « Voilà de quels biens sera béni l'homme qui craint le Seigneur. Que le Seigneur te bénisse de Sion ! » (vv. 4-5a).
16. La Bible considère la famille aussi comme le lieu de la catéchèse des enfants. Cela est illustré dans la description de la célébration pascale (cf. Ex 12, 26-27 ; Dt 6, 20-25), et a été ensuite explicité dans la haggadah juive, c’est-à-dire dans le récit sous forme de dialogue qui accompagne le rite du repas pascal. Mieux, un Psaume exalte l’annonce en famille de la foi : « Nous l'avons entendu et connu, nos pères nous l'ont raconté ; nous ne le tairons pas à leurs enfants, nous le raconterons à la génération qui vient : les titres du Seigneur et sa puissance, ses merveilles telles qu'il les fit ; il établit un témoignage en Jacob, il mit une loi en Israël ; il avait commandé à nos pères de le faire connaître à leurs enfants, que la génération qui vient le connaisse, les enfants qui viendront à naître. Qu'ils se lèvent, qu'ils racontent à leurs enfants » (Psaume 78, 3-6). Par conséquent, la famille est le lieu où les parents deviennent les premiers maîtres de la foi pour leurs enfants. C’est une œuvre artisanale, personnalisée : « Lorsque ton fils te demandera demain… tu lui diras… » (Ex 13, 14). Ainsi, les diverses générations chanteront au Seigneur, « jeunes hommes, aussi les vierges, les vieillards avec les enfants » (Psaume 148, 12).
17. Les parents ont le devoir d’accomplir avec sérieux leur mission éducative, comme l’enseignent souvent les sages de la Bible (cf. Pr 3, 11-12 ; 6, 20-22 ; 13, 1 ; 22, 15 ; 23, 13-14 ; 29, 17). Les enfants sont appelés à recueillir et à pratiquer le commandement : « honore ton père et ta mère » (Ex 20, 12), dans lequel le verbe « honorer » indique l’accomplissement des engagements familiaux et sociaux dans leur plénitude, sans les négliger en recourant à des excuses religieuses (cf. Mc 7, 11-13). De fait, « celui qui honore son père expie ses fautes, celui qui glorifie sa mère est comme quelqu'un qui amasse un trésor » (Si 3, 3-4).
18. L’Évangile nous rappelle également que les enfants ne sont pas une propriété de la famille, mais qu’ils ont devant eux leur propre chemin de vie. S’il est vrai que Jésus se présente comme modèle d’obéissance à ses parents terrestres, en se soumettant à eux (cf. Lc 2, 51), il est aussi vrai qu’il montre que le choix de vie en tant que fils et la vocation chrétienne personnelle elle-même peuvent exiger une séparation pour réaliser le don de soi au Royaume de Dieu (cf. Mt 10, 34-37 ; Lc 9, 59-62). Qui plus est, lui-même, à douze ans, répond à Marie et à Joseph qu’il a une autre mission plus importante à accomplir hors de sa famille historique (cf. Lc 2, 48-50). Voilà pourquoi il exalte la nécessité d’autres liens très profonds également dans les relations familiales : « Ma mère et mes frères, ce sont ceux qui écoutent la parole de Dieu et la mettent en pratique » (Lc 8, 21). D’autre part, dans l’attention qu’il accorde aux enfants – considérés dans la société de l’antique Proche Orient comme des sujets sans droits particuliers, voire comme objets de possession familiale – Jésus va jusqu’à les présenter aux adultes presque comme des maîtres, pour leur confiance simple et spontanée face aux autres : « En vérité je vous le dis, si vous ne retournez à l'état des enfants, vous n'entrerez pas dans le Royaume des Cieux. Qui donc se fera petit comme ce petit enfant-là, celui-là est le plus grand dans le Royaume des Cieux » (Mt 18, 3-4).
Un chemin de souffrance et de sang
19. L’idylle exprimée dans le Psaume 127 (128) ne nie pas une réalité amère marquant toutes les Saintes Écritures. C’est la présence de la douleur, du mal, de la violence qui brise la vie de la famille et son intime communion de vie et d’amour. Ce n’est pas pour rien que l’enseignement du Christ sur le Mariage (cf. Mt 19, 3-9) est inséré dans une discussion sur le divorce. La Parole de Dieu est témoin constant de cette dimension obscure qui se manifeste déjà dès les débuts lorsque, par le péché, la relation d’amour et de pureté entre l’homme et la femme se transforme en une domination : « Ta convoitise te poussera vers ton mari et lui dominera sur toi » (Gn 3, 16).
20. C’est un chemin de souffrance et de sang qui traverse de nombreuses pages de la Bible, à partir de la violence fratricide de Caïn sur Abel et de divers conflits entre les enfants et entre les épouses des patriarches Abraham, Isaac et Jacob, arrivant ensuite aux tragédies qui souillent de sang la famille de David, jusqu’aux multiples difficultés familiales qui jalonnent le récit de Tobie ou l’amère confession de Job abandonné : « Mes frères, il les a écartés de moi, mes relations s'appliquent à m'éviter… Mon haleine répugne à ma femme, ma puanteur à mes propres frères » (Jb 19, 13.17).
21. Jésus lui-même naît dans une famille modeste qui bientôt doit fuir vers une terre étrangère. Il entre dans la maison de Pierre où la belle-mère de celui-ci est malade (cf. Mc 1, 30-31) ; il se laisse impliquer dans le drame de la mort dans la maison de Jaïre ou chez Lazare (cf. Mc 5, 22-24.35-43 ; Jn 11, 1-44) ; il écoute le cri désespéré de la veuve de Naïm face à son fils mort (cf. Lc 7, 11-15) ; il écoute la clameur du père de l’épileptique dans un petit village, en campagne (cf. Mc 9, 17-27). Il rencontre des publicains comme Matthieu ou Zachée dans leurs propres maisons (Mt 9, 9-13) ; Lc 19, 1-10), ainsi que des pécheresses comme la femme qui a fait irruption dans la maison du pharisien (cf. Lc 7, 36-50). Il connaît les angoisses et les tensions des familles qu’il introduit dans ses paraboles : des enfants qui abandonnent leurs maisons pour tenter une aventure (cf. Lc 15, 11-32) jusqu’aux enfants difficiles, aux comportements inexplicables (cf. Mt 21, 28-31) ou victimes de la violence (cf. Mc 12, 1-9). Et il s’intéresse même aux noces qui courent le risque d’être honteuses par manque de vin (cf. Jn 2, 1-10) ou par l’absence des invités (cf. Mt 22, 1-10), tout comme il connaît le cauchemar à cause de la perte d’une pièce d’argent dans une famille (cf. Lc 15, 8-10).
22. Dans ce bref aperçu, nous pouvons constater que la Parole de Dieu ne se révèle pas comme une séquence de thèses abstraites, mais comme une compagne de voyage, y compris pour les familles qui sont en crise ou sont confrontées à une souffrance ou à une autre, et leur montre le but du chemin, lorsque Dieu « essuiera toute larme de leurs yeux : de mort, il n'y en aura plus; de pleur, de cri et de peine » (Ap 21, 4).
Le labeur de tes mains
23. Au commencement du Psaume 127 (128), le père est présenté comme un travailleur, qui par l’œuvre de ses mains peut assurer le bien-être physique et la sérénité de sa famille : « Du labeur de tes mains tu te nourriras, heureux es-tu. À toi le bonheur ! » (v. 2). Que le travail soit une partie fondamentale de la dignité de la vie humaine se déduit des premières pages de la Bible, lorsqu’il est déclaré que « l'homme a été établi dans le jardin d’Eden pour le cultiver et le garder » (Gn 2, 15). C’est l’image du travailleur qui transforme la matière et tire profit des énergies de la création, produisant « le pain des douleurs » (Psaume 126, 2), tout en se cultivant lui-même.
24. Le travail permet à la fois le développement de la société, l’entretien de la famille ainsi que sa stabilité et sa fécondité : « Puisses-tu voir Jérusalem dans le bonheur tous les jours de ta vie, et voir les fils de tes fils ! » (Ps 127, 5-6). Dans le livre des Proverbes, est également présentée la tâche de la mère de famille, dont le travail est décrit dans ses détails quotidiens, suscitant l’éloge de l’époux et des enfants (cf. 31, 10-31). L’apôtre Paul lui-même se montre fier d’avoir vécu sans être un poids pour les autres, car il a travaillé de ses propres mains et a pourvu ainsi à sa subsistance (cf. Ac 18, 3 ; 1 Co 4, 12 ; 9, 12). Il était si convaincu de la nécessité du travail qu’il a établi comme loi d’airain pour ses communautés : « Si quelqu'un ne veut pas travailler, qu'il ne mange pas non plus » (2 Th 3, 10 ; cf. 1 Th 4, 11).
25. Cela étant dit, on comprend que le chômage et la précarité du travail deviennent une souffrance, comme c’est le cas dans le livre de Ruth et comme le rappelle Jésus dans la parabole des travailleurs assis, dans une oisiveté forcée, sur la place publique (cf. Mt 20, 1-16), ou comme il l’expérimente dans le fait même d’être souvent entouré de nécessiteux et d’affamés. C’est ce que la société vit tragiquement dans beaucoup de pays, et ce manque de sources de travail affecte de diverses manières la sérénité des familles.
26. Nous ne pouvons pas non plus oublier la dégénération que le péché introduit dans la société, lorsque l’être humain se comporte comme tyran face à la nature, en la détruisant, en l’utilisant de manière égoïste, voire brutale. Les conséquences sont à la fois la désertification du sol (cf. Gn 3, 17-19) et les déséquilibres économiques ainsi que sociaux, contre lesquels s’élève clairement la voix des prophètes, depuis Élie (cf. 1R 21) jusqu’aux paroles que Jésus lui-même prononce contre l’injustice (cf. Lc 12, 13-21; 16, 1-31).
La tendresse de l’accolade
27. Le Christ a introduit par-dessus tout comme signe distinctif de ses disciples la loi de l’amour et du don de soi aux autres (cf. Mt 22, 39; Jn 13, 34), et il l’a fait à travers un principe dont un père ou une mère témoignent habituellement par leur propre existence : « Nul n'a plus grand amour que celui-ci : donner sa vie pour ses amis » (Jn 15, 13). La miséricorde et le pardon sont aussi fruit de l’amour. À cet égard, est emblématique la scène qui montre une femme adultère sur l’esplanade du temple de Jérusalem, entourée de ses accusateurs, et ensuite seule avec Jésus qui ne la condamne pas mais l’invite à une vie plus digne (cf. Jn 8, 1-11).
28. Dans la perspective de l’amour, central dans l’expérience chrétienne du mariage et de la famille, une autre vertu se démarque également, quelque peu ignorée en ces temps de relations frénétiques et superficielles : la tendresse. Recourons au doux et savoureux Psaume 131. Comme on le constate aussi dans d’autres textes (cf. Ex 4, 22 ; Is 49, 15 ; Ps 27, 10), l’union entre le fidèle et son Seigneur est exprimée par des traits de l’amour paternel ou maternel. Ici apparaît la délicate et tendre intimité qui existe entre la mère et son enfant, un nouveau-né qui dort dans les bras de sa mère après avoir été allaité. Il s’agit – comme l’exprime le mot hébreu gamûl – d’un enfant déjà sevré, s’accrochant consciemment à sa mère qui le porte dans ses bras. C’est donc une intimité consciente et non purement biologique. Voilà pourquoi le psalmiste chante : « Je tiens mon âme en paix et silence ; comme un petit enfant contre sa mère » (Psaume 131, 2). Parallèlement, nous pouvons recourir à une autre scène, où le prophète Osée met dans la bouche de Dieu comme père ces paroles émouvantes : « Quand Israël était jeune, je l'aimai… Je lui avais appris à marcher, je le prenais par les bras... Je le menais avec des attaches humaines, avec des liens d'amour ; j'étais pour lui comme ceux qui soulèvent un nourrisson tout contre leur joue, je m'inclinais vers lui et le faisais manger » (Os 11, 1.3-4).
29. Par ce regard, fait de foi et d’amour, de grâce et d’engagement, de famille humaine et de Trinité divine, nous contemplons la famille que la Parole de Dieu remet entre les mains de l’homme, de la femme et des enfants pour qu’ils forment une communion de personnes, qui soit image de l’union entre le Père, le Fils et l’Esprit Saint. L’activité procréative et éducative est, en retour, un reflet de l’œuvre du Père. La famille est appelée à partager la prière quotidienne, la lecture de la Parole de Dieu et la communion eucharistique pour faire grandir l’amour et devenir toujours davantage un temple de l’Esprit.
30. À chaque famille est présentée l’icône de la famille de Nazareth, avec sa vie quotidienne faite de fatigues, voire de cauchemars, comme lorsqu’elle a dû subir l’incompréhensible violence d’Hérode, expérience qui se répète tragiquement aujourd’hui encore dans de nombreuses familles de réfugiés rejetés et sans défense. Comme les mages, les familles sont invitées à contempler l’Enfant et la Mère, à se prosterner et à l’adorer (cf. Mt 2, 11). Comme Marie, elles sont exhortées à vivre avec courage et sérénité leurs défis familiaux, tristes et enthousiasmants, et à protéger comme à méditer dans leur cœur les merveilles de Dieu (cf. Lc 2, 19.51). Dans le trésor du cœur de Marie, il y a également tous les événements de chacune de nos familles, qu’elle garde soigneusement. Voilà pourquoi elle peut nous aider à les interpréter pour reconnaître le message de Dieu dans l’histoire familiale.
Le Commentaire de Saint Hilaire sur le Psaume 127 : « La vraie crainte de Dieu » :
« Heureux seront ceux qui craignent le Seigneur, qui marchent sur ses chemins ». Toutes les fois que l'on parle de la Crainte du Seigneur dans les Écritures, il faut remarquer qu'elle n'est jamais présentée seule, comme si elle suffisait à la perfection de notre Foi ; on lui préfère ou on lui substitue une quantité de choses qui font comprendre quelle est la nature et la perfection de cette Crainte du Seigneur. Nous connaissons par là ce que dit Salomon dans les Proverbes : « Si tu demandes la sagesse, si tu appelles l'intelligence, si tu la cherches comme l'argent et si tu creuses comme un chercheur de trésor, alors tu comprendras la crainte du Seigneur ».
Nous voyons ainsi à travers quelles étapes on parvient à la Crainte du Seigneur. D'abord, il faut demander la Sagesse, consacrer tous ses efforts à comprendre la Parole de Dieu, rechercher et approfondir dans la Sagesse ; et c'est après que l'on comprendra la Crainte du Seigneur. Or, dans l'opinion commune des hommes, on ne comprend pas ainsi la crainte.
La crainte est l'effroi de la faiblesse humaine qui redoute de souffrir des accidents dont elle ne veut pas. Elle naît et elle s'ébranle en nous du fait de la culpabilité de notre conscience, du droit d'un plus puissant, de l'assaut d'un ennemi mieux armé, d'une cause de maladie, de la rencontre d'une bête sauvage, bref la crainte naît de tout ce qui peut nous apporter de la souffrance. Une telle crainte ne s'enseigne donc pas : elle naît naturellement de notre faiblesse. Nous n'apprenons pas quels sont les maux à craindre, mais d'eux-mêmes ces maux nous inspirent de la crainte.
Au contraire, au sujet de la Crainte du Seigneur, il est écrit ceci : « Venez, mes fils, écoutez-moi : la Crainte du Seigneur, je vous l'enseignerai ». Il faut donc apprendre la Crainte de Dieu, puisqu'elle est enseignée. En effet, elle n'est pas dans la terreur, elle est dans la logique de l'enseignement. Elle ne vient pas du tremblement de la nature, mais de l'observance du précepte ; elle doit commencer par l'activité d'une vie innocente et par la connaissance de la Vérité.
Pour nous, la Crainte de Dieu est tout entière dans l'amour, et la Charité parfaite mène à son achèvement la peur qui est en elle. La fonction propre de notre amour envers Lui est de se soumettre aux avertissements, d'obéir aux décisions, de se fier aux promesses. Écoutons donc l'Écriture, qui nous dit : « Et maintenant, Israël, qu'est-ce que le Seigneur te demande ? Sinon que tu craignes le Seigneur ton Dieu, que tu marches sur tous ses chemins, que tu l'aimes et que tu observes, de tout ton cœur et de toute ton âme, les commandements qu'il t'a donnés pour ton bonheur ».
Nombreux sont les Chemins du Seigneur, bien qu'il soit Lui-même le Chemin. Mais lorsqu'il parle de Lui-même, Il se nomme le Chemin et Il en montre la raison lorsqu'il dit : « Personne ne va vers le Père sans passer par moi ». Il faut donc interroger beaucoup de chemins et nous devons en fouler beaucoup pour trouver le seul qui soit bon ; c'est-à-dire que nous trouverons l'unique chemin de la vie éternelle en traversant la doctrine de chemins nombreux. Car il y a des chemins dans la Loi, des chemins chez les Prophètes, des chemins dans les Evangiles, des chemins chez les Apôtres ; il y a aussi des chemins dans toutes les actions qui accomplissent les Commandements, et c'est en les prenant que ceux qui marchent dans la Crainte de Dieu trouvent le bonheur.
Saint Hilaire de Poitiers (315-367)