« Lorsque je L’invoquais, Il m’a exaucé le Dieu de ma justice » « Cum invocarem, exaudivit me Deus justitiæ meæ »
Dans la Sainte Tradition Catholique, L’Église chante le Psaume IV aux Matines des Saints Martyrs avec l’Antienne : « Sachez donc que Dieu a glorifié son Saint ». Elle le répète aux Matines des Saints Confesseurs avec une Antienne qui rappelle la Prière des Saints sur la terre et leur Bonheur dans la Paix Éternelle. Ce Quatrième Psaume est appliqué à Jésus-Christ Lui-même, aux Matines du Premier Nocturne de l’Office des Ténèbres du Samedi Saint : c’est la Prière du Sauveur au Tombeau et la Prière confiante de celui qui repose en Dieu selon l'Antienne « En Paix, je dormirai et me reposerai tout ensemble ». La mention des sacrifices de justice au verset 6 et celle du froment et du vin ont mérité à ce Psaume 4 une place dans l’Office du Saint-Sacrement.
Dans la Liturgie des Heures, le Psaume 4 attribué à David, est récité aux Complies le samedi soir et la veille des Solennités.
Le Psaume 4 est la Prière du Soir d'un Juste en butte à de nombreuses oppositions, mais qui met son bonheur dans l'amitié de Dieu. Nous pouvons en faire notre Prière du Soir : au terme d'une journée laborieuse, nous nous endormons dans la Paix de Dieu. Mais nous ne pouvons pas nous limiter à cette interprétation purement humaine et moralisante. Notre Psaume IV figure aux Matines du Samedi Saint sous cette antienne : « En paix, tout aussitôt, je me couche et je m'endors ». Il est alors le Psaume du Christ qui, remettant son Esprit aux mains du Père, s'endort du sommeil de la mort avec la certitude de la Résurrection.
Écouter le « Psaume 4 » psalmodié en latin par les Moines Bénédictins de l’Abbaye de Solesmes :
Le Psaume IV en latin « Cum invocarem, exaudivit me Deus justitiæ meæ »(Vulgate): Ps IV, 1 : Psalmus David in finem in carminibus Ps IV, 2 : Cum invocarem, exaudivit me Deus iustitiae meae in tribulatione dilatasti mihi miserere mei et exaudi orationem meam Ps IV, 3 : Filii hominum usquequo gravi corde ? Ut quid diligitis vanitatem et quaeritis mendacium diapsalma ? Ps IV, 4 : Et scitote quoniam mirificavit Dominus sanctum suum Dominus exaudiet me cum clamavero ad eum Ps IV, 5 : Irascimini et nolite peccare quae dicitis in cordibus vestris in cubilibus vestris conpungimini diapsalma Ps IV, 6 : Sacrificate sacrificium iustitiae et sperate in Domino multi dicunt quis ostendet nobis bona Ps IV, 7 : Signatum est super nos lumen vultus tui Domine dedisti laetitiam in corde meo Ps IV, 1 : A fructu frumenti et vini et olei sui multiplicati sunt Ps IV, 8 : In pace in id ipsum dormiam et requiescam Ps IV, 9 : Quoniam tu Domine singulariter in spe constituisti me Gloria Patri, et Filio, et Spiritui Sancto, sicut erat in principio, et nunc et semper, et in saecula saeculorum. Amen.
Le Psaume IV en français « Lorsque je L’invoquais, Il m’a exaucé, le Dieu de ma justice »(Vulgate): Ps IV, 1 : Psaume de David du maître de chant avec instruments à cordes. Ps IV, 2 : Lorsque je L’invoquais, Il m’a exaucé, le Dieu de ma justice : * dans la tribulation, Vous m’avez mis au large. Ayez pitié de moi, * et exaucez ma prière. Ps IV, 3 : Fils des hommes, jusqu’à quand aurez-vous le cœur lourd ? * Pourquoi aimez-vous la vanité, et cherchez-vous le mensonge ? Ps IV, 4 : Sachez donc que le Seigneur a glorifié son Saint : * le Seigneur m’exaucera, lorsque je crierai vers Lui. Ps IV, 5 : Irritez-vous et ne péchez pas : et ce que vous dites en vos cœurs, * pleurez-le sur vos lits avec componction. Ps IV, 6 : Offrez un sacrifice de justice, et espérez dans le Seigneur. * Beaucoup disent : Qui nous montrera le bonheur ? Ps IV, 7 : La Lumière de votre Visage a été gravée sur nous, Seigneur : * Vous avez donné la joie à mon cœur. Ps IV, 8 : Par le fruit de leur froment, de leur vin et de leur huile, * ils se sont multipliés. Ps IV, 9 : Dans la Paix tout à la fois * je m’endormirai et je reposerai ; parce que Vous, Seigneur, Vous Seul, dans l’Espérance * m’avez établi. Gloire au Père, et au Fils, * et au Saint-Esprit. Comme il était au commencement, et maintenant, et toujours, * et dans les siècles des siècles. Ainsi-soit-il.
« Offrez un sacrifice de justice, celui d’une âme droite. Qu’elle s’offre et s’immole sur l’Autel de la Foi, pour être consumée par le Feu Divin ou par le Saint-Esprit. Un sacrifice de justice peut bien s’entendre de celui qu’offre une âme pénitente. Quoi de plus juste que de s’irriter contre ses propres fautes et de s’immoler à Dieu en se châtiant ? Que l’âme purifiée s’offre et s’immole sur l’Autel de la Foi pour être consumée par le Feu Divin ou par le Saint-Esprit »(Saint Augustin)
Le Psaume IV« Dieu, qui connais cette Innocence que tout entière je Te dois » mis en quatrains de 32 syllabes (Bible de Vence de 1738) : Ps IV, 1 :Psaume de David du maître de chant avec instruments à cordes. Ps IV, 2 : Dieu, qui connais cette Innocence
Que tout entière je Te dois,
Tu préparas ma délivrance,
Touché des accents de ma voix.
Je suis toujours dans la poussière,
Quoique je sois justifié ;
Ecoute encore ma prière,
Et me regarde en Ta pitié. Ps IV, 3 : Le cœur de l'homme, en un vain songe,
Restera-t-il appesanti ?
Pourquoi, séduit par le mensonge,
A soi-même s'est-il menti ? Ps IV, 4 : Sachez-le bien, irrévocable
Est le choix qu'a fait le Seigneur ;
Il entend, ce Dieu secourable,
Le cri d'un pieux serviteur. Ps IV, 5 : Indignez-vous contre vos crimes,
Et cessez enfin de pécher ;
Sur vos lits, sondez vos maximes,
Que vos cœurs s'y laissent toucher. Ps IV, 6 : Offrez à Dieu le sacrifice
Des hommages d'un esprit pur ;
Confiez-vous en sa Justice,
Son aile est l'abri le plus sûr. Ps IV, 7 : D'autres ont dit : Quelle est la voie
Qui doit nous conduire au bonheur ?
Notre lumière et notre joie,
C'est ton seul Visage, ô Seigneur. Ps IV, 8 : Sur nos fronts on en voit les traces,
Et nos cœurs en sont pénétrés ;
Eux, ils préfèrent à Tes grâces
Les biens dont ils sont saturés.
L'huile et le froment les ravissent
Et ne comblent pas leurs plaisirs ;
Leurs vins, qui jamais ne tarissent,
Altèrent encor leurs désirs. Ps IV, 9 : Pour moi, je dormirai tranquille,
Et rien ne troublera ma paix ;
Car, Seigneur, Tu fus mon asile,
Car en Toi j'espère à jamais. Gloire au Père, et au Fils, et au Saint-Esprit, comme il était au commencement, et maintenant, et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi-soit-il.
« Qui nous montrera le Bonheur ? C’était le cri de David, c’est le cri de toutes les âmes. Chaque génération répète en passant cette unique question qui domine et comprend toutes les autres. La réponse est toujours la même : « La Lumière de votre Visage a été gravée sur nous, Seigneur ; Vous avez donné la Joie à mon cœur » (Ps. IV, 7). Le bonheur est en Dieu seul et ne vient que de lui : il est la lumière de sa face se reflétant sur l’âme humaine. Et, pour qu’aucun nuage ne voile cette lumière, pour qu’aucune ombre ne s’interpose entre le ciel et nous, il faut qu’incessamment un sacrifice de justice soit offert au Seigneur : Offrez un sacrifice de justice et espérez dans le Seigneur »(Abbé Buathier)
Le Psaume 4« Quand je crie, réponds-moi, Dieu, ma justice ! Toi qui me libères dans la détresse, pitié pour moi, écoute ma prière ! »(AELF): Ps 4, 1 : Psaume de David du maître de chant avec instruments à cordes. Ps 4, 2 : Quand je crie, réponds-moi, Dieu, ma justice ! Toi qui me libères dans la détresse, pitié pour moi, écoute ma prière ! Ps 4, 3 : Fils des hommes, jusqu'où irez-vous dans l'insulte à ma gloire, l'amour du néant et la course au mensonge ? Ps 4, 4 : Sachez que le Seigneur a mis à part son fidèle, le Seigneur entend quand je crie vers Lui. Ps 4, 5 : Mais vous, tremblez, ne péchez pas ; réfléchissez dans le secret, faites silence. Ps 4, 6 : Offrez les offrandes justes et faites confiance au Seigneur. Ps 4, 7 : Beaucoup demandent : « Qui nous fera voir le bonheur ? » Sur nous, Seigneur, que s'illumine ton Visage ! Ps 4, 8 : Tu mets dans mon cœur plus de joie que toutes leurs vendanges et leurs moissons. Ps 4, 9 : Dans la paix moi aussi, je me couche et je dors, car Tu me donnes d'habiter, Seigneur, seul, dans la confiance. Gloire au Père, au Fils, et au Saint-Esprit, pour les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
« Qui nous montrera le Bonheur ? Il en est de Dieu comme de César qui exige que son image soit empreinte sur la monnaie ; rendez donc à Dieu votre âme marquée à la Lumière de sa Face »(Saint Chrysostome)
Le Psaume 4 – Prière du Soir « Quand je crie, réponds-moi, Dieu de ma justice »(Bible de Jérusalem de 1998): Accepter de faire taire les bruits du monde et s'ouvrir à la confiance sont deux voies sûres pour goûter la paix de Dieu Ps 4, 1 : Psaume de David du maître de chant avec instruments à cordes. Ps 4, 2 : Quand je crie, réponds-moi, Dieu de ma justice, dans l'angoisse Tu m'as mis au large, pitié pour moi, écoute ma prière ! Ps 4, 3 : Fils d'homme, jusqu'où s'alourdiront vos cœurs, pourquoi ce goût du rien, cette course à l'illusion ? Ps 4, 4 : Sachez-le, pour son ami Yahvé fait merveille, Yahvé écoute quand je crie vers Lui. Ps 4, 5 : Frémissez et ne péchez plus, parlez en votre cœur, sur votre couche faites silence. Ps 4, 6 : Offrez des sacrifices de justice et soyez sûrs de Yahvé. Ps 4, 7 : Beaucoup disent : « Qui nous fera voir le bonheur ? » Fais lever sur nous la lumière de ta Face, Yahvé, Ps 4, 8 : Tu as mis en mon cœur plus de joie qu'aux jours ou leur froment, leur vin nouveau débordent. Ps 4, 9 : En paix, tout aussitôt, je me couche et je dors, c'est Toi, Yahvé, qui m'établis à part, en sûreté. Dieu Fidèle, Tu as écouté la Prière du Christ, Tu L'as libéré de la détresse. Ne permets pas que nos cœurs se troublent ; rends-les confiants, mets en eux ta joie; et nous attendrons dans le silence et la paix, le bonheur de voir ton Visage. Gloire au Père, au Fils, et au Saint-Esprit, pour les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
Le Psaume 4 exprime les sentiments de confiance de l'âme qui va prendre un doux et paisible repos sous le Regard de Dieu. Le pécheur doit profiter de ces heures de silence pour se recueillir et concevoir des sentiments salutaires de repentir et de courage.
Commentaire de Saint Augustin sur le Psaume IV : « LE VRAI BONHEUR »
Le Prophète nous montre dans ce cantique l’âme qui s’élève au-dessus des biens terrestres et périssables pour trouver en Dieu le repos et le bonheur.
1. « Le Christ est la fin de la loi pour justifier tous ceux qui croiront en lui (Rom. X, 4) »; mais cette fin a le sens de perfectionnement et non de destruction. On peut se demander si tout cantique est un psaume, ou plutôt si tout psaume ne serait pas un cantique ; s’il y a des cantiques auxquels ne conviendrait pas le nom de psaume, et des psaumes que l’on ne pourrait appeler cantiques. Mais il est bon de voir dans les Ecritures, si le titre de cantique n’indiquerait pas la joie ; et le nom de psaumes indiquerait des chants exécutés sur le psaltérion, dont se servit David, au rapport de l’histoire (I Par. XIII, 8), pour figurer un grand mystère, que nous n’approfondirons pas ici ; cela exige de longues recherches, et une longue discussion. Ecoutons aujourd’hui la parole de l’Homme-Dieu, après sa Résurrection, ou du disciple de l’Eglise qui croit et qui espère en Lui.
2. « Quand je priais, le Dieu de ma justice m’a exaucé (Ps. IV, 2) ». Ma prière, dit-il, a été exaucée par Dieu, auteur de ma justice. « Dans les tribulations, vous avez dilaté mon cœur (Ibid.), vous m’avez fait passer des étreintes de la douleur aux dilatations de la joie ; car la tribulation et l’étreinte sont le partage de l’âme, chez tout homme qui fait le mal (Rom. II, 9) ». Mais celui qui dit : « Nous nous réjouissons dans les afflictions, sachant que l’affliction produit la patience »; jusqu’à ces paroles : « Parce que l’amour de Dieu est répandu dans nos cœurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné (Rom. V, 3-5) » : celui-là n’endure point les étreintes du cœur, quoi que fassent pour les lui causer ses persécuteurs du dehors. Le verbe est à la troisième personne, quand le Prophète s’écrie : « Dieu m’a exaucé », et à la seconde, quand il dit : « Vous avez dilaté mon cœur » ; si ce changement n’a point pour but la variété ou l’agrément du discours, on peut s’étonner qu’il ait voulu d’abord proclamer devant les hommes qu’il a été exaucé, puis interpeller son bienfaiteur. Sans doute qu’après avoir dit qu’il a été exaucé dans la dilatation de son cœur, il a préféré s’entretenir avec Dieu, afin de nous montrer par là que dans cette dilatation du cœur, Dieu lui-même se répand dans notre âme qui s’entretient avec lui intérieurement. Ceci s’applique très-bien au fidèle qui croit en Jésus-Christ, et en reçoit la lumière ; mais je ne vois point comment nous pourrions l’entendre de Notre Seigneur, puisque la divine sagesse unie à son humanité, ne l’a point abandonné un instant. Toutefois, de même que dans la prière il faisait ressortir notre faiblesse plutôt que la sienne ; de même aussi, dans cette dilatation du cœur, Notre Seigneur peut parler au nom des fidèles, dont il s’attribue le rôle quand il dit : « J’ai eu faim, et vous ne m’avez pas nourri ; j’ai eu soif, et vous ne m’avez point donné à boire (Matt. XXV, 35), et le reste. De même encore Notre Seigneur peut dire : « Vous avez dilaté mon cœur », en parlant au nom de quelque humble fidèle, qui s’entretient avec Dieu dont il ressent en son âme l’amour répandu par l’Esprit-Saint qui a été donné. « Ayez pitié de moi, écoutez mes supplications (Ps. IV, 2) ». Pourquoi cette nouvelle prière, lorsque déjà il s’est dit exaucé et dilaté ? Serait-ce à cause de nous dont il est dit : « Si nous espérons ce que nous ne voyons pas encore, nous l’attendons par la patience (Rom. VIII, 25) ? » ou bien demanderait-il à Dieu de perfectionner ce qui est commencé chez celui qui a cru ?
3. « Enfants des hommes, jusques à quand vos cœurs seront-ils appesantis (Ps. IV, 3) ? » Du moins, si vos égarements ont duré jusqu’à l’avènement du Fils de Dieu, pourquoi prolonger au-delà cette torpeur de vos âmes ? Quand cesserez-vous de vous tromper, sinon en présence de la vérité ? « A quoi bon vous éprendre des vanités, et rechercher le mensonge (Ibid.) ? » Pourquoi demander à des choses sans prix, un bonheur que peut seule vous donner la vérité, qui donne à tout le reste la consistance ? « Car vanité des vanités, tout est vanité. Qu’a de plus l’homme de tout le labeur dans lequel il se consume sous le soleil (Eccl. I, 2,4) ? » Pourquoi vous laisser absorber par l’amour des biens périssables ? Pourquoi rechercher comme excellents des biens sans valeur ? C’est là une vanité, un mensonge ; car vous prétendez donner la durée auprès de vous à ce qui doit passer comme une ombre.
4. « Et sachez que le Seigneur a glorifié son saint (Ps. IV, 4) ». Quel saint, sinon celui qu’il a ressuscité d’entre les morts, et qu’il a fait asseoir à sa droite dans les cieux ? Le Prophète excite ici les hommes à se détacher du monde pour s’attacher à Dieu. Si cette liaison « et sachez »paraît étrange, il est facile de remarquer dans les Ecritures, que cette manière de parler est familière à la langue des Prophètes. Vous les voyez souvent commencer ainsi : « Et le Seigneur lui dit, et la parole du Seigneur se fit entendre à lui (Ezéch., I, 3) ». Cette liaison que ne précède aucune pensée, et qui ne peut y rattacher la pensée suivante, nous montrerait la transition merveilleuse entre l’émission de la vérité par la bouche du Prophète, et la vision qui a lieu dans son âme. Ici néanmoins, on pourrait dire que la première pensée : « Pourquoi aimer la vanité et rechercher le mensonge ? » signifie : gardez-vous d’aimer la vanité, et de courir après le mensonge ; après viendrait fort bien cette parole : « Et sachez que le Seigneur a glorifié son Saint ». Mais un Diapsalma, qui sépare ces deux versets, nous empêche de les rattacher l’un à l’autre. On peut, avec les uns, prendre ce Diapsalma, pour un mot hébreu qui signifie : Ainsi soit-il ! ou avec d’autres, pour un mot grec désignant un intervalle dans la psalmodie ; en sorte qu’on appellerait Psalma le chant qui s’exécute, Diapsalma un silence dans le chant, et que Sympsalma, indiquant l’union des voix, pour exécuter une symphonie, Diapsalma en marquerait la désunion, un repos, une discontinuation. Quel que soit le sens que l’on adopte, il en résulte du moins cette probabilité, qu’après un Diapsalma le sens est interrompu et ne se rattache point à ce qui précède.
5. « Le Seigneur m’exaucera quand je crierai vers lui (Ps. IV, 4) ». Cette parole me paraît une exhortation à demander le secours de Dieu, dans toute la force de notre cœur, ou plutôt avec un gémissement intérieur et sans bruit. Comme c’est un devoir de remercier Dieu du don de la lumière en cette vie, c’en est un aussi, de lui demander le repos après la mort. Que nous mettions ces paroles dans la bouche du prédicateur fidèle, ou de notre Seigneur, elles signifient : « Le Seigneur vous exaucera quand vous l’invoquerez ».
6. « Mettez-vous en colère, mais ne péchez point (Ps. IV, 5) ». On pouvait se demander: Qui est digne d’être exaucé, ou comment ne serait-il pas inutile pour le pécheur de s’adresser à Dieu ? Le Prophète répond donc : « Entrez en colère, mais ne péchez point ». Réponse qui peut s’entendre en deux manières ; ou bien : « Même dans votre colère, ne péchez point », c’est-à-dire, quand s’élèverait en vous ce mouvement de l’âme que, par un châtiment du péché, nous ne pouvons dominer, que du moins il soit désavoué par cette raison, par cette âme que Dieu a régénérée intérieurement, afin que du moins nous fussions soumis à la loi de Dieu par l’esprit, si par la chair nous obéissons encore à la loi du péché (Rom. VII, 25). Ou bien : Faites pénitence, entrez en colère contre vous-mêmes, à cause de vos désordres passés, et ne péchez plus à l’avenir. « Ce que vous dites, dans vos cœurs », suppléez : « dites-le », de manière que la pensée complète soit celle-ci: Dites bien de cœur ce que vous dites, et ne soyez pas un peuple dont il est écrit : « Ce peuple m’honore des lèvres, et les cœurs sont loin de moi (Isa. XXIX, 13). Soyez contrits dans le secret de vos demeures (Ps. IV, 5) ». Le Prophète avait dit dans le même sens : « Dans vos cœurs », c’est-à-dire dans ces endroits secrets où le Seigneur nous avertit de prier après en avoir fermé les portes (Matt. VI, 6). Ce conseil : « Soyez contrits », ou bien recommande cette douleur de la pénitence qui porte l’âme à s’affliger, à se châtier elle-même, pour échapper à cette sentence de Dieu qui la condamnerait aux tourments, ou bien c’est un stimulant qui nous tient dans l’éveil, afin que nous jouissions de la lumière du Christ. Au lieu de : « Repentez-vous », d’autres préfèrent: « Ouvrez-vous », à cause de cette expression du psautier grec : katanugete, qui a rapport à cette dilatation du cœur nécessaire à la diffusion de la charité par l’Esprit-Saint.
7. « Offrez un sacrifice de justice, et espérez au Seigneur (Ps. IV, 6) ». Le Psalmiste a dit ailleurs : « Le sacrifice agréable à Dieu est un cœur contrit (Id. L, 19) ». Alors un sacrifice de justice peut bien s’entendre de celui qu’offre une âme pénitente. Quoi de plus juste que de s’irriter plutôt contre ses propres fautes que contre celles des autres, et de s’immoler à Dieu en se châtiant ? Ou bien, par sacrifice de justice faudrait-il entendre les bonnes œuvres faites après la pénitence ? Car le « Diapsalma » placé ici pourrait fort bien nous indiquer la transition de la vie passée à une vie nouvelle ; en sorte que le vieil homme étant détruit ou du moins affaibli par la pénitence, l’homme devenu nouveau par la régénération, offre à Dieu un sacrifice de justice, quand l’âme purifiée s’offre et s’immole sur l’autel de la foi, pour être consumée par le feu divin ou par le Saint-Esprit. En sorte que : « Offrez un sacrifice de justice et espérez dans le Seigneur », reviendrait à dire : Vivez saintement, attendez le don de l’Esprit-Saint, afin que vous soyez éclairés par cette vérité à laquelle vous avez cru.
8. Néanmoins « espérez dans le Seigneur » est encore obscur. Qu’espérons-nous, sinon des biens ? Mais chacun veut obtenir de Dieu le bien qu’il préfère, et l’on trouve rarement un homme pour aimer les biens invisibles, ces biens de l’homme intérieur, seuls dignes de notre attachement, puisqu’on ne doit user des autres que par nécessité, et non pour y mettre sa joie. Aussi le Prophète, après avoir dit : « Espérez dans le Seigneur », ajoute avec beaucoup de raison : « Beaucoup disent : Qui nous montre des biens (Ps. IV, 6) ? » discours et question que nous trouvons journellement dans la bouche des insensés et des méchants qui veulent jouir ici-bas d’une paix, d’une tranquillité que la malignité des hommes les empêche d’y trouver. Dans leur aveuglement, ils osent accuser l’ordre providentiel, et se roulant dans leurs propres forfaits, ils pensent que les temps actuels sont pires que ceux d’autrefois. Ou bien aux promesses que Dieu nous fait de la vie future, ils opposent le doute et le désespoir, et nous répètent sans cesse : Qui sait si tout cela est vrai, ou qui est revenu d’entre les morts pour nous en parler ? Le Prophète expose donc admirablement et en peu de mots, mais seulement aux yeux de la foi, les biens que nous devons chercher. Quant à ceux qui demandent : « Qui nous montrera la félicité ? », il répond : « La lumière de votre face est empreinte sur nous, ô Dieu (Ibid. 7) ». Cette lumière qui brille à l’esprit et non aux yeux, est tout le bien réel de l’homme. Selon le Prophète, « nous en portons l’empreinte », comme le denier porte l’image du prince. Car l’homme à sa création reflétait l’image et la ressemblance de Dieu (Gen. I, 26), image que défigura le péché: le bien véritable et solide pour lui est donc d’être marqué de nouveau par la régénération. Tel est, je crois, le sens que de sages interprètes ont donné à ce que dit le Sauveur, en voyant la monnaie de César : « Rendez à César ce qui est de César, et à Dieu ce qui est de Dieu (Matt. XXII, 21) », comme s’il eût dit : Il en est de Dieu comme de César, qui exige que son image soit empreinte sur la monnaie ; si vous rendez cette monnaie au prince, rendez à Dieu votre âme marquée à la lumière de sa face. « Vous avez mis la joie dans mon cœur ». Ce n’est donc point à l’extérieur que doivent chercher la joie, ces hommes lents de cœur, aimant la joie et recherchant le mensonge, mais à l’intérieur, où Dieu a gravé le signe de sa lumière. Car l’Apôtre l’a dit : « Le Christ habite chez l’homme intérieur (Ephés. III, 17)», auquel il appartient de voir cette vérité dont le Sauveur a dit : « La vérité, c’est moi (Jean, XIV, 6) ». Il parlait par la bouche de saint Paul, qui disait : « Voulez-vous éprouver le pouvoir de Jésus-Christ qui parle en moi (II Cor. XIII, 3) ? » et son langage n’était point extérieur, mais dans l’intimité du cœur, dans ce lieu secret où nous devons prier (Matt. VI, 6).
9. Mais les hommes, en grand nombre, épris des biens temporels, incapables de voir dans leurs cœurs les biens réels et solides, n’ont su que demander : « Qui nous montrera les biens ? » C’est donc avec justesse qu’on peut leur appliquer le verset suivant « Ils se sont multipliés à la récolte de leur froment, de leur vin et de leur huile (Ps. IV, 8) ». Et s’il est dit « leur froment », ce n’est pas sans raison ; car il y a aussi un froment de Dieu, « qui est le pain vivant descendu du ciel (Jean, VI, 51) ». Il y a un vin de Dieu, puisqu’ils « seront enivrés dans l’abondance de sa maison (Ps. XXXV, 9) ». Il y a aussi une huile de Dieu, dont il est dit « Votre huile a parfumé ma tête (Ibid. XXII, 5) ». Ces hommes nombreux, qui disent : « Qui nous montrera les biens ? » et ne voient pas le royaume de Dieu qui est en eux-mêmes (Luc, XVII, 22), « se sont donc multipliés par la récolte de leur froment, de leur vin et de leur huile ». Se multiplier, en effet, ne se dit pas toujours de l’abondance, mais quelquefois de la pénurie, alors qu’une âme enflammée pour les voluptés temporelles d’un désir insatiable, devient la proie de pensées inquiètes qui la partagent, et l’empêchent de comprendre le vrai bien qui est simple. C’est d’une âme en cet état qu’il est dit : « Le corps qui se corrompt appesantit l’âme, et cette habitation terrestre accable l’esprit d’une foule de pensées (Sag. IX, 15) ». Partagée par cette foule innombrable de fantômes que lui causent les biens terrestres, s’approchant d’elle sans relâche pour s’en éloigner, ou la récolte de son froment, de son vin et de son huile, elle est loin d’accomplir ce précepte : « Aimez Dieu dans sa bonté, et recherchez-le dans la simplicité de l’âme (Id. I, 1) ». Cette simplicité est incompatible avec ses occupations multiples. Mais, à l’encontre de ces hommes nombreux qui se jettent sur l’appât des biens temporels, et qui disent : « Qui nous montrera les biens » que l’on ne voit point des yeux, mais qu’il faut chercher dans la simplicité du cœur ? L’homme fidèle dit avec transport : « C’est en paix que je m’endormirai dans le Seigneur et que je prendrai mon repos (Ps. IV, 9) ». Il a droit d’espérer en effet que son cœur deviendra étranger aux choses périssables, qu’il oubliera les misères de ce monde, ce que le Prophète appelle justement un sommeil et un repos, et ce qui est la figure de cette paix que nul trouble n’interrompt. Mais un tel bien n’est point de cette vie, nous devons l’attendre seulement après la mort, comme nous l’enseignent encore les paroles du Prophète qui sont au futur, car il n’est pas dit : J’ai pris mon sommeil, mon repos ; non plus que : Je m’endors, je me repose ; mais bien : « Je dormirai, je prendrai mon repos. Alors ce corps corruptible sera revêtu d’incorruptibilité, ce corps mortel sera revêtu d’immortalité, et la mort elle-même sera absorbée dans la victoire (I Cor. XV, 54) ». De là ce mot de l’Apôtre : « Si nous espérons ce que nous ne voyons pas encore, nous l’attendons par la patience (Rom. VIII, 25).
10. Aussi le Prophète a-t-il eu raison d’ajouter : « Parce que c’est vous, Seigneur, qui m’avez singulièrement affermi, d’une manière unique, dans l’espérance (Ps. IX, 10) ». Il ne dit point ici : qui m’affermirez, mais bien : « Qui m’avez affermi ». Celui-là donc qui a conçu une telle espérance jouira certainement de ce qu’il espère. L’adverbe « singulièrement », est plein de sens, car on peut l’opposer à cette foule qui se multiplie, par la récolte de son froment, de son vin et de son huile, et qui s’écrie : « Qui nous montrera les biens ? » Cette multitude périra, mais l’unité subsistera dans les saints, dont il est dit dans les Actes des Apôtres : « La multitude de ceux qui « croyaient n’avait qu’un cœur et qu’une âme (Act. IX, 32) ». Il nous faut donc embrasser la singularité, la simplicité, c’est-à-dire nous soustraire à cette foule sans nombre de choses terrestres qui naissent pour mourir bientôt, et nous attacher à ce qui est un et éternel, si nous voulons adhérer au seul Dieu, notre Seigneur.
Le « Psaume 4 » paraphrasé par Mgr Jean-Baptiste Massillon :
« Continuez, grand Dieu, de me regarder avec ces Yeux de Miséricorde » :
Ps 4, 1 : Le Dieu de ma justice m'a exaucé dans le temps que je L'invoquais : lorsque j'étais dans l’angoisse, Vous m'avez dilaté le cœur « En vain, ô mon Dieu ! Je Vous protestais tous les jours que je regardais le monde et toute sa gloire comme un monceau de boue, et que Vous seul suffisiez à une âme qui a le bonheur de Vous posséder : je ne connaissais pas mon cœur, et je me séduisais moi-même. Je tenais encore par mille liens secrets et insensibles à ce monde trompeur que je semblais mépriser ; j'aimais encore ses biens, ses honneurs, et tout cet amas de fumée qui s'est dissipé en un instant. Mais l'accablement profond où la perte de ces objets frivoles vient de me jeter, me découvre enfin ces dispositions criminelles que je me cachais à moi-même, et que Vous voyez depuis si longtemps au fond de mon cœur. Il me fallait un grand coup pour me réveiller de cet assoupissement funeste. Vous l'avez frappé, grand Dieu, ce Coup de Miséricorde ; et fortifié, éclairé par votre Grâce, j'ai plus senti de honte de mon erreur et de mon infidélité, que de douleur de mon infortune. Vous vouliez être, ô mon Dieu, mon Tout, mon unique Ressource ; aussi dès que je me suis tourné vers Vous dans l'amertume de mon cœur, et que je Vous ai invoqué, Vous n'avez pas consulté votre Justice qui demandait, qu'ayant cherché de vains appuis hors de Vous, Vous m'abandonnassiez à moi-même. Vous êtes venu promptement à mon secours, Dieu de Bonté ; et un rayon de Joie et de Lumière a lui aussitôt au milieu de la sombre tristesse de mon cœur, et en a dilaté et adouci le serrement et l'amertume ».
Ps 4, 2 : Ayez pitié de moi et exaucez ma prière « Ne vous lassez pas, grand Dieu, de Vous communiquer à Votre créature, et de soutenir ma faiblesse. Pour moi, je ne me lasserai point d'implorer votre Secours. Continuez, grand Dieu, de me regarder avec ces Yeux de Miséricorde qui ne mesurent pas vos Bienfaits sur l'indignité, mais sur les besoins de ceux qui Vous prient. Ayez pitié de ma misère : et faites-moi sentir encore plus vivement, que la perte de tout ce que le monde donne n'est rien : qu'on a tout, lorsqu'on est à Vous, et qu'on ne saurait rien perdre, tandis qu'on Vous possède encore ».
Ps 4, 3 : Jusqu'à quand, ô enfants des hommes, aurez-vous le cœur appesanti ? Pourquoi aimez-vous la vanité, et cherchez-vous le mensonge ? « Ô enfants des hommes, qui courez avec tant d'empressement après une fortune qui vous échappe toujours, et qui vous laisse encore mille choses à désirer quand vous l'avez trouvée ; jusqu'à quand votre cœur se laissera-t-il séduire par une illusion, dont votre expérience devrait vous avoir détrompés ? Jusqu’à quand aimerez-vous vos inquiétudes et vos chaînes ? Le bonheur que vous cherchez n'est plus qu'un poids qui vous accable, dès que vous y êtes parvenus. Vous sentez multiplier vos soucis, à mesure que le monde vous multiplie ses faveurs ; de nouveaux désirs naissent de ceux que vous venez de voir accomplis. Le monde vous croit heureux : mais la jalousie, mais la prospérité d'autrui, mais ce qui manque encore à votre ambition, mais le vide même de tout ce que vous possédez, et qui ne saurait jamais satisfaire l'immensité d'un cœur que Dieu seul peut remplir ; mais le dégoût même, qui suit toujours la possession de ce qu'on avait le plus désiré, mais le cri de la conscience, qui vous reproche sans cesse et les voies injustes par où vous êtes parvenus à ce que vous désiriez, et l'usage criminel que vous en faites ; mais la pensée même que tout s'enfuit, que la vie la plus longue n'est qu'un instant rapide, demain on va vous redemander votre âme ; mais tout cela ensemble est un ver secret qui vous dévore sans cesse, et qui empoisonne toute cette vaine félicité qui trompe les spectateurs, tandis qu'elle peut vous rendre heureux, et vous séduire vous-mêmes. Pourquoi sacrifiez-vous donc votre âme, votre salut éternel, votre Dieu, à des objets dont vous ne pouvez vous empêcher de sentir vous-mêmes le faux, la vanité, le néant ? Aimez Celui seul qui peut donner tout ce que l'on désire, et dont l'Amour tout seul fait le véritable bonheur de ceux qui L'aiment ».
Ps 4, 4 : Sachez que c'est le Seigneur qui a rempli son Saint d'une gloire admirable : le Seigneur m'exaucera, quand j'aurai crié vers Lui. « Que ne puis-je m'appeler ici moi-même en témoignage ? Depuis que revenu des erreurs et de l'indignité des passions, je me suis efforcé de conformer ma vie à la Sainteté du Christianisme, dont je suis encore si éloigné, le Seigneur n'a pas laissé d'opérer dans mon âme des merveilles inconnues aux amateurs du monde. J'ai senti au dedans de moi la paix, la joie, le calme que le monde et tous ses plaisirs n'avaient jamais pu me donner. Le monde lui-même a vu le prodige de mon changement, et il s'en est moqué ; et il a cherché dans la faiblesse et dans la légèreté de mon esprit les raisons d'un événement qui ne prenait sa source que dans les Lumières descendues d'en haut, et dans la force et dans la douceur de la Grâce. Le Dieu de Miséricorde ne m'a pas fait même attendre longtemps cette Faveur signalée. A peine me suis-je tourné vers Lui ; à peine touché de mes égarements, ai-je fait entendre au pied de son Trône, mes cris, mes prières et mes larmes, qu'Il s'est rendu à moi : Il a consolé mon affliction, ou plutôt Il m'a fait trouver des douceurs ineffables dans l'amertume de mon repentir et de ma douleur ».
Ps 4, 5 : Mettez-vous en colère, mais gardez-vous de pécher : soyez touchés de componction dans le repos de vos lits. « Enfants des hommes, esclaves du monde et des passions, imitez mon Exemple. Entrez en indignation contre vous-mêmes, de vous être laissés si longtemps abuser par des illusions qui ne peuvent séduire que des enfants et des insensés ; regardez avec horreur l'opprobre et l'indignité des liens, dont vous vous faisiez autrefois une gloire déplorable, mais dont vous ne sentez plus depuis longtemps que la pesanteur et l'infamie. Tournez contre ceux qui vous ont séduits par leurs persuasions, ou par leurs scandales, l'aversion que vous témoigniez pour les gens de biens, lorsqu'ils vous donnaient de saints exemples, ou des avis charitables. Changez cet amour excessif d'un corps que vous avez fait servir jusqu'ici à l'ignominie, en une haine salutaire. Vous ne pécherez plus, dès que vous haïrez la source et l'instrument de tous vos crimes. Mais souvenez-vous que ce n'est ni le dégoût, ni la lassitude, qui forme ces dispositions saintes. On peut être lassé des plaisirs sans les détester ; on peut en sentir le vide, sans en sentir l'énormité et l'infamie. Interrogez votre cœur : il peut être rassasié du crime, sans être changé et touché de la vertu. Mais si la Miséricorde de Dieu a opéré en vous ce changement sincère ; mais si vous sentez et l'outrage que vos passions ont fait à Dieu, et l'avilissement où elles vous ont fait tomber vous-mêmes, ah ! alors vous ne garderez plus de mesures dans votre douleur, les jours ne suffiront pas même à l'amertume et à l'abondance de vos larmes ; elles suspendront votre sommeil durant le silence de la nuit. Ce temps paisible, dont vous aviez fait autrefois un temps de dissolution et de tumulte, et dont le repos et les ténèbres avaient fourni tant de facilités à vos crimes, ne serviront plus qu'à laisser plus de cours et plus de loisir à votre douleur ».
Ps 4, 6 : Offrez à Dieu un sacrifice de justice, et espérez au Seigneur « Mais souvenez-vous que Dieu n'aime pas les sacrifices imparfaits ; rendez-Lui tout votre cœur que vous aviez prostitué avec tant d'abandonnement aux créatures ; ne ménagez point vos démarches en Le servant, comme vous ne les avez point ménagées en servant le monde ; portez sur le bûcher la victime tout entière. Le démon vous a possédé si longtemps sans partage ; et vous ne vous donneriez qu'à demi au Seigneur, à qui vous appartenez, et qui réclame Sa créature ? Vous ne Le servirez avec plaisir, que lorsque vous Le servirez sans réserve. Mais aussi, dès que vous L'aurez rendu Maître de tout votre cœur, la joie, l'espérance, la confiance naîtront au fond de votre âme. Le souvenir de vos crimes ne s'offrira à vous qu'avec le souvenir des Miséricordes éternelles qui vous en ont inspiré le repentir et l'horreur ; et plus l'abîme où vous étiez enseveli depuis tant d'années vous paraîtra affreux, et sans espérance de retour, si vous eussiez été abandonné à vous-même, plus vous serez touché de la Clémence d'un Dieu dont la Main Toute-Puissante a bien voulu vous en retirer. Vous lirez dans l'histoire de vos égarements, l'histoire de ses Miséricordes infinies sur votre âme ; et plus vous vous trouverez pécheur, plus le Seigneur vous paraîtra Bon, Miséricordieux et Aimable ».
Ps 4, 7 : Plusieurs disent : « Qui nous fera voir les biens que l'on nous promet ? » « Mais, ô mon Dieu, les hommes enivrés de leurs passions n'écoutent qu'avec mépris ces avis utiles. Ils nous demandent avec insulte : Où est donc cette joie, ce contentement, ce bonheur que nous promettons ici-bas même à ceux qui veulent revenir à Vous ? Ils voudraient qu'on leur fit voir des yeux du corps des biens invisibles que l'œil de l'homme n'a point vus, et que la chair et le sang ne sauraient comprendre. Ils ne voient rien que de triste et de rebutant dans votre Service, parce qu'ils n'y voient rien qui flatte les sens ou l'orgueil ; la seule félicité qu'ils connaissent et qu'ils cherchent, cette félicité qui les fuit toujours, qu'ils désirent sans cesse, quoiqu'ils n'y puissent jamais atteindre, et dont le désir chimérique est la source de tous leurs chagrins les plus réels, et de leurs troubles les plus accablants. Ils sentent à tout moment, malgré eux, que le monde ne fait point d'heureux ; et ils ne veulent pas essayer si Vous n'êtes pas assez Puissant pour en faire. Ils aiment un maître qui les rend malheureux ; l'illusion de ses promesses, dont ils ont si souvent éprouvé la vanité et le mensonge, leur adoucit la pesanteur actuelle de son joug ; et ils craignent Celui avec Lequel on ne doit plus rien craindre, dans le service duquel on ne connaît plus ni peine, ni deuil, ni douleur, et dont le joug fait toute la consolation et la félicité de ceux qui Le servent ».
Ps 4, 8 : La Lumière de votre Visage est gravée sur nous, Seigneur ; Vous avez fait naître la joie dans mon cœur « Oui, grand Dieu, Vous avez gravé au fond de nos cœurs cette Lumière éternelle ; cette Voix sécrète qui nous crie sans cesse que Vous êtes le seul Bonheur de l'homme, qui nous rappelle à Vous malgré nous-mêmes ; cette Voix qui se fait entendre au milieu du tumulte de nos passions, qui nous suit jusques dans l'abîme du désordre, et qui ne nous permet pas d'ignorer qu'étant faits à votre Image, nous ne sommes faits que pour Vous. Aussi tout ce qui souille et déshonore cette auguste Ressemblance, et nous sépare de Vous, fait en même temps tous nos malheurs et tous nos crimes. Et c'est, ô mon Dieu, cette Lumière née avec nous, et que votre Main seule a pu placer dans nos cœurs, qui devenant un ver secret et dévorant pour les pécheurs, est une Source continuelle de joie et de consolation pour ceux qui ont le bonheur de Vous servir. Ils sentent qu'en revenant à Vous, ils reviennent à la première institution de la nature humaine ; que leur vie devient conforme aux lumières les plus inséparables du fond de leur cœur ; et qu'ils sont dans la situation où la créature raisonnable doit être. En vain l'homme corrompu cherche à se persuader que nous sommes faits pour le plaisir, et que des penchants nés avec nous ne sauraient être des crimes. C'est le langage de ses passions, c'est le désir brutal de son cœur ; mais ce n'en est pas le sentiment le plus profond, et la persuasion la plus intime. Il trouve au dedans de lui une contradiction éternelle à ce dogme impie. Il s'en fait honneur ; mais il ne peut s'en faire une ressource. Sa langue le publie ; mais son cœur le désavoue ».
Ps 4, 9 : Ils se sont accrus et enrichis par l'abondance de leurs fruits, de leur froment, de leur vin et de leur huile « Ainsi, ô mon Dieu, le bonheur dont les pécheurs semblent jouir, ne me dégoûtera jamais de l'observance de votre Loi sainte. Ce n'est qu'une vaine montre, qui cache les remords les plus cruels, et les inquiétudes les plus tristes. Multipliez entre leurs mains les biens de la terre ; comblez-les de ces faveurs périssables qui ne sont pas dignes de vos serviteurs. Ce sont des dons réservés aux enfants du siècle, et que vous faites presque toujours dans votre colère. Vous punissez le crime et l'ambition de leurs désirs en les exauçant. Le Royaume de vos Saints n'est pas de ce monde ; une Récompense plus durable les attend ».
Ps 4, 10-11 : Pour moi, je dormirai en paix, et je jouirai d'un parfait repos, parce que Vous m'avez, Seigneur, affermi d'une manière toute singulière dans l'espérance « Pénétré de ces Vérités saintes ; quand toutes les disgrâces du monde fondraient de nouveau sur moi ; quand l'envie ou l'injustice des hommes me dépouilleraient de tout ce que je possède encore ici-bas, pourvu que Vous soyez encore avec moi, et que mon cœur Vous possède encore, ô Source unique de tous les biens, la paix de mon âme n'en sera point troublée. Conservez en moi cette ferme espérance que vos Miséricordes y ont fait naître ; et je serai tranquille au milieu de toutes ces révolutions passagères. Je verrai arriver la mort avec joie ; cette mort qui n'est qu'un doux sommeil pour les Justes ; et mes cendres attendront en paix dans la nuit du tombeau le Jour de la Lumière et de la Révélation, cette Vie nouvelle et immortelle que Vous promettez à ceux qui vous ont aimé sur la terre ».
Ainsi soit-il.
Mgr Jean-Baptiste Massillon (1663-1742) – « Œuvres de Massillon : paraphrase morale de plusieurs Psaumes en forme de prière », tome XII, Psaume 4, p. 19-29, chez Gauthier (1834).