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Psaume 6 - « Imploration dans l'épreuve »


« Seigneur, ne me reprenez pas dans votre Fureur et ne me punissez pas dans votre Colère »
« Domine, ne in furore tuo arguas me neque in ira tua corripias me »

Le Psaume 6 est attribué au roi David d'après l'indication du premier verset et fait partie des Sept Psaumes Pénitentiels (Ps 6 ; Ps 31 ; Ps 37 ; Ps 50 ; Ps 101 ; Ps 129 ; Ps 142). Ce Psaume VI « Domine ne in furore tuo arguas me » en latin exprime les sentiments d'Israël souffrant de l'oppression d'un autre peuple et est destiné à quelqu'un qui a été frappé par la maladie. La Sainte Église croit que David a composé ce Psaume dans le temps que Dieu l’affligea, à cause de l'adultère qu'il avait commis avec Béthsabée et du meurtre d'Urie. C'est une excellente instruction pour tous ceux qui sont affligés, soit dans le corps ou dans l'âme.
Dans la Liturgie des Heures, le Psaume 6 est récité ou chanté à l’Office des Lectures du lundi de la première semaine.


Le Psaume VI en latin « Domine, ne in furore tuo arguas me » (Vulgate) :
Ps. VI, 1 : In finem in carminibus pro octava Psalmus David.
Ps. VI, 2 : Domine, ne in furore tuo arguas me neque in ira tua corripias me
Ps. VI, 3 : Miserere mei Domine quoniam infirmus sum sana me Domine quoniam conturbata sunt ossa mea
Ps. VI, 4 : Et anima mea turbata est valde et tu Domine usquequo
Ps. VI, 5 : Convertere Domine eripe animam meam salvum me fac propter misericordiam tuam
Ps. VI, 6 : Quoniam non est in morte qui memor sit tui in inferno autem quis confitebitur tibi
Ps. VI, 7 : Laboravi in gemitu meo lavabo per singulas noctes lectum meum in lacrimis meis stratum meum rigabo
Ps. VI, 8 : Turbatus est a furore oculus meus inveteravi inter omnes inimicos meos
Ps. VI, 9 : Discedite a me omnes qui operamini iniquitatem quoniam exaudivit Dominus vocem fletus mei
Ps. VI, 10 : Exaudivit Dominus deprecationem meam Dominus orationem meam suscepit
Ps. VI, 11 : Erubescant et conturbentur vehementer omnes inimici mei convertantur et erubescant valde velociter
Gloria Patri et Filio et Spiritui Sancto sicut erat in principio et nunc et semper et in sæcula sæculorum. Amen.



Le Psaume 6 en français « Seigneur, ne me reprenez pas dans votre Fureur » (Vulgate) :
Ps 6, 1 : Psaume de David du maître de chant sur les instruments à cordes et l'octacorde.
Ps 6, 2 : Seigneur, ne me reprenez pas dans votre Fureur, et ne me punissez pas dans votre Colère.
Ps 6, 3 : Ayez pitié de moi, Seigneur, parce que je suis faible : Seigneur, guérissez-moi, parce que mes os sont tout étonnés.
Ps 6, 4 : Et mon âme est toute troublée ; mais Vous, Seigneur, jusqu’à quand me laisserez-Vous en cet état ?
Ps 6, 5 : Tournez-Vous vers moi, Seigneur, et délivrez mon âme : Sauvez-moi en considération de votre Miséricorde.
Ps 6, 6 : Car dans la mort il n'y a personne qui se souvienne de Vous. Et qui est celui qui Vous louera dans l'Enfer ?
Ps 6, 7 : Je me suis épuisé à force de soupirer : je laverai toutes les nuits mon lit de mes pleurs : j'arroserai de mes larmes le lieu où je suis couché.
Ps 6, 8 : La fureur a rempli mon œil de trouble : je suis devenu vieil au milieu de tous mes ennemis.
Ps 6, 9 : Eloignez-vous de moi, vous tous qui commettez l'iniquité ; parce que le Seigneur a exaucé la voix de mes larmes.
Ps 6, 10 : Le Seigneur a exaucé l'humble supplication que je Lui ai faite : Le Seigneur a agréé ma prière.
Ps 6, 11 : Que tous mes ennemis rougissent, et soient remplis de trouble ; qu'ils se retirent très promptement, et qu'ils soient couverts de confusion.
Gloire au Père, et au Fils, et au Saint-Esprit, comme il était au commencement, et maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi-soit-il.


Le Psaume 6 « Seigneur, dans ta juste Colère ne relève pas mon erreur » mis en quatrains de 32 syllabes (Bible de Vence de 1738) :
Ps 6, 1 : Psaume de David du maître de chant sur les instruments à cordes et l'octacorde.
Ps 6, 2 : Seigneur, dans ta juste Colère,
Ne relève pas mon erreur ;
Ne reprends pas un téméraire
Dans les transports de ta Fureur.
Ps 6, 3 : Tu connais, Seigneur, ma faiblesse :
Daigne compatir à mes maux ;
Soulage-moi dans ma détresse,
La douleur ébranle mes os.
Ps 6, 4 : Mon âme troublée en frissonne ;
Jusqu’à quand, triste, abattu,
Sur la cendre où tout m'abandonne,
Mon Dieu, me délaisseras-Tu ?
Ps 6, 5 : Seigneur, que ta Bonté m'accorde
L'appui qui soutenait mes pas ;
Reviens, que ta Miséricorde
Me sauve encore du trépas.
Ps 6, 6 : Nul ne conserve ta Mémoire
En la tombe, où chacun s'endort ;
Et qui célèbrera ta Gloire
Dans les souterrains de la mort ?
Ps 6, 7 : J'exprime, le jour, mes alarmes,
Et m'épuise en gémissements ;
La nuit, j'arrose de mes larmes
La couche où veillent mes tourments.
Ps 6, 8 : De chagrin mon œil se consume,
Entouré d'un peuple insoumis ;
Et j'ai vieilli dans l'amertume
Au milieu de mes ennemis.
Ps 6, 9 : Retirez-vous, suppôts du vice,
Qui vous riiez de mes douleurs ;
Le Seigneur a, dans sa Justice,
Exaucé la voix de mes pleurs.
Ps 6, 10 : Le Seigneur entend ma prière ;
Le Seigneur, touché de mon deuil,
A ma supplique journalière,
A fait un favorable accueil.
Ps 6, 11 : Confondus, frappés d'épouvante,
Mes ennemis reculeront ;
Soudain leur tourbe haletante
Fuira, la honte sur le front.


Le Psaume 6 « Seigneur, corrige-moi sans Colère » (AELF) :
Ps 6, 1 : Psaume de David du maître de chant sur les instruments à cordes et l'octacorde.
Ps 6, 2 : Seigneur, corrige-moi sans Colère, et reprends-moi sans Fureur.
Ps 6, 3 : Pitié, Seigneur, je dépéris ! Seigneur, guéris-moi ! Car je tremble de tous mes os,
Ps 6, 4 : De toute mon âme, je tremble. Et Toi, Seigneur, que fais-Tu ?
Ps 6, 5 : Reviens, Seigneur, délivre-moi, sauve-moi en raison de ton Amour !
Ps 6, 6 : Personne, dans la mort, n'invoque ton Nom ; au séjour des morts, qui Te rend grâce ?
Ps 6, 7 : Je m'épuise à force de gémir ; chaque nuit, je pleure sur mon lit : ma couche est trempée de mes larmes.
Ps 6, 8 : Mes yeux sont rongés de chagrin ; j'ai vieilli parmi tant d'adversaires !
Ps 6, 9 : Loin de moi, vous tous, malfaisants, car le Seigneur entend mes sanglots !
Ps 6, 10 : Le Seigneur accueille ma demande, le Seigneur entend ma prière.
Ps 6, 11 : Qu'ils aient honte et qu'ils tremblent, tous mes ennemis, qu'ils reculent, soudain, couverts de honte !
Gloire au Père, et au Fils, et au Saint-Esprit, pour les siècles des siècles. Amen.


Le Psaume 6 « Yahvé, ne me châtie point dans ta Colère » (Bible de Jérusalem de 1998) :
Ps 6, 1 : Psaume de David du maître de chant sur les instruments à cordes et l'octacorde.
Ps 6, 2 : Yahvé, ne me châtie point dans ta Colère, ne me reprends point dans ta Fureur.
Ps 6, 3 : Pitié pour moi, Yahvé, je suis à bout de force, guéris-moi, Yahvé, mes os sont bouleversés,
Ps 6, 4 : Mon âme est toute bouleversée. Mais Toi, Yahvé, jusqu’à quand ?
Ps 6, 5 : Reviens, Yahvé, délivre mon âme, sauve-moi, en raison de ton Amour.
Ps 6, 6 : Car, dans la mort, nul souvenir de Toi dans le shéol, qui Te louerait ?
Ps 6, 7 : Je me suis épuisé en gémissements, chaque nuit, je baigne ma couche ; de mes larmes j'arrose mon lit,
Ps 6, 8 : Mon œil est rongé de pleurs. Insolence chez tous mes oppresseurs ;
Ps 6, 9 : Loin de moi, tous les malfaisants ! Car Yahvé entend la voix de mes sanglots ;
Ps 6, 10 : Yahvé entend ma supplication, Yahvé accueillera ma prière.
Ps 6, 11 : Tous mes ennemis, confondus, bouleversés, qu'ils reculent, soudain confondus !
Gloire au Père, et au Fils, et au Saint-Esprit, pour les siècles des siècles. Amen.



Commentaire de Saint Augustin sur le Psaume 6 « LE JUGEMENT DE DIEU » :


L’âme fidèle supplie le Seigneur de lui accorder le salut, de la maintenir dans la justice, comme s’il devait être plus glorieux pour Dieu de faire éclater sa bonté que sa justice. Elle veut s’éloigner des pécheurs impénitents, s’ils ne se convertissent au Seigneur.

1. Pour la Fin, Psaume de David, pour les chants du huitième jour (Psaume 6, 1). Cette expression, « huitième jour », est obscure ; mais le reste du titre est clair. Quelques-uns ont cru qu’elle signifiait le jour du jugement, ou ce temps de l’avènement de Jésus-Christ qui descendra pour juger les vivants et les morts. Cet avènement, selon cette croyance, aura lieu après sept milliers d’années, à compter depuis Adam ; ces sept milliers d’années s’écouleraient comme sept jours, et le huitième serait celui de l’avènement. Mais le Seigneur a dit : « Ce n’est point à vous de connaître les temps que mon Père a disposés dans sa puissance (Act. I, 7) » ; et encore : « Quant à ce jour et à cette heure, nul ne les sait, ni les Anges, ni les Vertus, ni le Fils lui-même ; le Père seul les connaît (Matt. XXIV, 36) » ; et enfin saint Paul a écrit, que ce jour du Seigneur nous surprendra comme le voleur (I Thess. V, 2) : tout cela nous montre clairement qu’on ne doit point chercher à connaître ce jour par la supputation des années. Or, s’il devait arriver après sept milliers d’années, tout homme pourrait le connaître au moyen d’un calcul. Comment donc se fait-il que le Fils ne le connaît point ? Parole qui signifie qu’il ne l’apprendra point aux hommes, et non qu’il ne le sait point en lui-même. C’est ainsi qu’il est dit : «Le Seigneur vous tente afin de savoir (Deut. III, 3) », c’est-à-dire, « afin de vous faire connaître », comme : « Levez-vous, Seigneur (Ps. III, 7) », signifie, aidez-nous à nous relever. Si donc le Fils ne connaît point le jour, non qu’il l’ignore, mais parce qu’il ne l’enseigne point à ceux qui n’ont aucun avantage à le connaître ; n’y a-t-il pas une certaine présomption à compter les dates pour affirmer que le jour du Seigneur doit arriver après sept milliers d’années ?

2. Pour nous, ignorons de bon cœur ce qu’il n’a pas plu à Dieu de nous révéler, et cherchons ce que veut dire cette expression du titre : « Pour le huitième jour ». Sans recourir à des calculs téméraires on peut entendre par huitième jour celui du jugement, car la fin de ce monde nous ouvrira la vie éternelle ; et alors les âmes des justes ne seront plus assujetties aux temporelles vicissitudes ; et comme tous les temps roulent périodiquement de sept jours en sept jours, on appellerait huitième jour celui qui serait en dehors de cette révolution. Dans un autre sens qui n’est pas sans justesse, on appellerait huitième jour, celui du jugement, parce qu’il doit arriver après deux genres de vie, dont l’un tient à la chair, et l’autre à l’esprit. Depuis Mam jusqu’à Moïse, la vie humaine est une vie corporelle, une vie selon la chair, ce que saint Paul appelle vie de l’homme extérieur, du vieil homme (Ephés. IV, 22). A cette génération fut donné l’Ancien Testament, dont le culte était grossier, quoique religieux, et figurait le culte spirituel de l’avenir. Pendant cette période où l’on vivait selon la chair, « la mort a régné », dit l’Apôtre, « même sur ceux qui n’avaient point péché ». Et comme il l’a dit encore, « elle a régné parce qu’on imitait la prévarication d’Adam (Rom. V, 14) ». Mais « jusqu’à Moïse », signifie tant qu’ont duré les œuvres de la loi, ces rites sacrés, observés d’une manière charnelle, et qui néanmoins tinrent enchaînés ceux-là mêmes qui croyaient à un seul Dieu, pour leur donner la foi au mystère de l’avenir. Mais depuis l’avènement de Jésus-Christ, qui nous a fait passer de la circoncision de la chair, à la circoncision du cœur, nous sommes appelés à vivre selon l’esprit, c’est-à-dire selon l’homme intérieur, appelé homme nouveau (Coloss. III, 10) à cause de sa régénération baptismale, et de ses mœurs devenues plus spirituelles. Car il est évident que le nombre quatre appartient au corps à cause des éléments dont il est formé, et de ces quatre qualités, du chaud, du froid, du sec, de l’humide. De là vient que Dieu le fait passer par les quatre saisons du printemps, de l’été, de l’automne, de l’hiver. Tout cela est connu; et il est démontré ailleurs, par des raisons plus subtiles, que le nombre quatre appartient au corps ; mais évitons ces raisons assez obscures, dans un discours que nous voulons mettre à la portée des moins instruits. Le nombre trois appartient à l’âme, comme nous l’apprend le précepte d’aimer Dieu de tout notre cœur, de toute notre âme, et de tout notre esprit (Deut. VI, 5 ; Matt. XXII, 37). De plus longs détails viendraient dans l’explication de l’Evangile et non d’un psaume ; mais cela suffit, je crois, pour montrer que le nombre ternaire appartient à l’âme. Donc, lorsque les nombres du corps, qui tiennent au vieil homme et à l’Ancien Testament, et les nombres de l’esprit ou de l’homme régénéré et de la loi nouvelle, seront écoulés comme un nombre de sept jours ; puisque toute action en cette vie se rapporte au corps ou au nombre quatre, ou à l’âme dont le nombre est ternaire ; après cela viendra le huitième jour qui, rendant à chacun ce qu’il a mérité, appellera les justes, non plus à des œuvres passagères, mais à la vie sans fin, et condamnera les impies aux supplices éternels.

3. Telle est la damnation que redoute l’Eglise, qui s’écrie dans ce psaume 6 : « Seigneur, ne m’accusez pas dans votre colère (Psaume 6, 2) ». Saint Paul parle aussi de colère à propos du jugement : « Tu amasses pour toi, dit-il, un trésor de colère, pour le jour de la colère et du juste jugement de Dieu (Rom. II, 5) ». C’est dans ce jour que ne veut pas être accusé celui qui cherche à se guérir en cette vie. « Et ne me « reprenez point dans votre fureur ». Reprendre est plus doux, car il tend à l’amendement; au lieu que, quand on est accusé, ou mis en jugement, on doit craindre pour issue une condamnation. Mais la fureur paraît être plus grande que la colère, et l’on peut s’étonner que reprendre, qui est plus doux, soit placé avec fureur, qui est l’expression la plus sévère. Pour moi, je crois que ces deux expressions n’ont qu’un même sens ; car le mot grec « tumos » du premier verset a la même signification que « orphe », qui est dans le second. Mais comme la version latine a voulu employer aussi deux expressions, elle en a cherché une qui se rapprochât le plus de colère, et a mis fureur. De là des variantes dans les versions ; car, dans l’une, c’est la colère qui est avant la fureur, dans l’autre, c’est la fureur avant la colère ; d’autres, au lieu de fureur ont indignation, et même bile. Quoi qu’il en soit, ces deux termes expriment un mouvement de l’âme qui veut punir, mouvement que nous ne pourrons attribuer à Dieu dans le même sens qu’à notre âme, puisqu’il est dit « Pour vous, Dieu des vertus, vous nous jugez dans le calme (Sag. XII, 18) ». Mais ce qui est dans le calme, est opposé au trouble. Dieu donc dans ses jugements est inaccessible au trouble ; mais on a appelé sa colère, cette émotion occasionnée par ses lois chez ses ministres. Or, l’âme qui supplie dans ce psaume 6, redoute d’être accusée dans cette colère, elle ne veut pas même cette réprimande qui la corrigerait ou l’instruirait. Car il y a dans le grec « paideustes », c’est-à-dire « enseignez ». Au jour du jugement seront convaincus tous ceux qui ne sont pas fondés sur Jésus-Christ; mais ceux qui sur cette base auront bâti avec le bois, le foin et la paille, ils seront amendés ou purifiés, ils souffriront un dommage et néanmoins seront sauvés, mais comme par le feu (I Cor. III, 11). Que peut-on demander à Dieu, quand on ne veut être ni accusé ni repris dans sa colère ? Que demander, sinon d’être guéri, puisque la guérison ne nous laisse à craindre ni la mort, ni la main du médecin qui emploie le feu ou le fer ?

4. Le Psalmiste poursuit donc : « Ayez pitié de moi, Seigneur, parce que je suis infirme, guérissez-moi, parce que mes os sont ébranlés (Psaume 6, 3) », et par ces os il entend la force de l’âme ou le courage. L’âme donc, en parlant de ses os, se plaint de son courage qui est ébranlé ; mais gardons-nous de croire qu’elle ait des os comme ceux du corps. Expliquant donc ce qui précède, le Prophète ajoute « Et mon âme est dans un trouble « profond », afin que l’on n’applique point au corps, ce qu’il appelait des os. « Et vous, Seigneur, jusques à quand (Id. 4 ) ? » Qui ne verrait ici une âme qui lutte avec ses infirmités, et que le médecin ne se presse pas de guérir, afin de lui faire sentir dans quel abîme de maux le péché l’a précipitée ? On ne cherche guère à éviter ce qui se guérit facilement; mais une guérison difficile nous rend plus attentifs à conserver la santé quand nous l’avons recouvrée. Loin de nous cette pensée qu’il y ait de la cruauté dans ce Dieu à qui l’on dit : « Jusques à quand tarderez-vous à me guérir ? » mais il veut dans sa bonté montrer à l’âme quelle blessure elle s’est faite. Car cette âme ne prie pas encore avec une telle ferveur que Dieu puisse lui dire : « Ta prière ne sera pas achevée que je répondrai : Me voici (Isa. LXV, 21) ». Dieu veut encore nous montrer quel sera le châtiment des impies qui refusent de retourner à lui, si la conversion nous est si difficile ; dans ce sens il est dit ailleurs : « Si le juste à peine est sauvé, que deviendront le pécheur et l’impie (I Pierre, IV, 18 ) ? »

5. « Revenez à moi, Seigneur, et délivrez « mon âme (Psaume 6, 5) ». En revenant à Dieu, le pécheur le supplie de se tourner vers lui, comme il est écrit : « Revenez à moi, dit le Seigneur, et je reviendrai à vous (Zach. I, 3) » Mais cette expression : « Revenez, Seigneur », voudrait-elle dire : Aidez-moi dans mon retour, à cause des difficultés et du labeur que rencontre un retour à Dieu ? Car notre conversion parfaite au Seigneur, le trouvera toujours prêt, ainsi que l’a dit le Prophète : « Nous le trouvons prêt comme la lumière du matin (Osée, VI, 3, suiv. les LXX)». Nous l’avons perdu, en effet, non qu’il se soit retiré de nous, puisqu’il est présent partout, mais bien parce que nous lui avons tourné le dos. « Il était en ce monde», est-il dit, « et le monde a été fait par lui, et le monde ne l’a pas connu (Jean, I, 10) ». Si donc il était en ce monde sans que le monde le connût, c’est que nos souillures ne supportent point sa présence. Mais pour nous convertir, ou pour effacer notre vie passée en taillant de nouveau notre âme à l’image de Dieu, nous ressentons le douloureux labeur d’échanger les terrestres voluptés contre le calme serein de la divine lumière. Et dans cette pénible tâche nous disons : « Revenez à moi, Seigneur », c’est-à-dire, aidez-moi, afin que se perfectionne en moi ce retour qui vous trouvera toujours prêt, et vous donnera en jouissance à ceux qui vous aiment. Aussi, après avoir dit : « Revenez à moi, Seigneur », le Prophète a-t-il ajouté : « Et délivrez mon âme », que retiennent encore les soucis du monde, et qui, dans son retour à vous, se sent déchirer par l’aiguillon des désirs. « Sauvez-moi», dit-il, « à cause de votre miséricorde (Psaume 6, 3) ». Il sent qu’il n’est point guéri par ses propres mérites, puisqu’un pécheur, un violateur de la loi ne devait s’attendre en justice qu’à la damnation. Sauvez-moi donc, dit-il, non point que je l’aie mérité, mais à cause de votre miséricorde.

6. « Car nul après la mort ne se souvient de vous (Id. 6 ) ». Il comprend que c’est en cette vie qu’il faut nous convertir, car après la mort il ne reste plus à chacun qu’à recevoir selon ses œuvres. « Qui vous confessera dans les enfers (Psaume 6, 6) ? » Le riche dont parle Jésus-Christ, confessa Dieu dans les enfers, quand il se plaignit de ses tortures, en voyant Lazare au sein du repos ; il confessa Dieu au point de vouloir avertir les siens de s’abstenir du péché, en vue de ces tourments de l’enfer, auxquels on ne croit point (Luc, XVI, 23-31). Ce fut en vain, il est vrai, mais enfin il confessa qu’il souffrait justement, puisqu’il désirait avertir ses frères de ne point encourir ces châtiments. Qu’est-ce à dire alors : « Qui confessera votre nom dans les enfers ? » Entendrait-il par là ce profond abîme, où sera précipité l’impie après le jugement, et dont les épaisses ténèbres ne laisseront échapper aucune lueur de Dieu pour le confesser ? Toutefois ce riche, en élevant les yeux, put apercevoir Lazare au sein du repos, nonobstant les ténébreuses profondeurs qui l’environnaient lui-même ; et la comparaison qu’il dut faire lui arracha l’aveu de ses fautes. Le Prophète pourrait donner aussi le nom de mort au péché que l’on commet au mépris de la loi divine ; et nous faire appeler mort ce qui n’en est que l’aiguillon, parce qu’il aboutit à la mort; car l’aiguillon de la mort c’est le péché (I Cor. XV, 56). Dans cette mort l’oubli de Dieu serait le mépris de ses lois et de ses préceptes ; ainsi le Prophète appellerait enfer cet aveuglement de l’esprit, qui saisit et enveloppe le pécheur, ou l’âme qui meurt par le péché. « Comme ils n’ont pas fait usage », dit saint Paul, « de la connaissance de Dieu, Dieu les a livrés au sens réprouvé (Rom. I, 28) ». C’est de cette mort et de cet enfer que l’âme demande à Dieu de la préserver, quand elle cherche à revenir à lui, et sent les difficultés du retour.

7. Aussi le Prophète continue en disant : « Je me suis fatigué dans mon gémissement », et comme si c’était peu, il ajoute : « Chaque nuit je laverai ma couche de mes larmes (Psaume 6, 7) ». Il appelle ici couche tout ce qu’une âme faible et malade cherche pour son repos, comme la volupté charnelle et les plaisirs du monde. C’est laver de ses larmes ces mêmes plaisirs, que chercher à s’en arracher. On voit que ses appétits charnels sont condamnables, et toutefois on est assez faible pour s’y attacher par goût, pour s’y reposer à l’aise ; et notre âme ne peut s’en relever qu’après sa guérison. Mais en disant : « Chaque nuit », le Prophète a voulu peindre sans doute l’homme dont l’esprit est prompt et reçoit quelque lueur de vérité, mais dont la chair est assez faible pour mettre parfois son bonheur dans les plaisirs du siècle, en sorte qu’il subit dans ses affections une alternative de lumière et de ténèbres : c’est le jour pour lui quand il dit : « Par l’esprit, j’obéis à la loi de Dieu », mais il décline vers la nuit à ces mots : « Et par la chair à la loi du péché (Rom. VII, 25) », jusqu’à ce qu’enfin toute nuit se dissipe, et que vienne ce jour unique dont il est dit : «Au matin je serai debout, et je verrai (Psaume 6, 7) ». C’est alors qu’il se tiendra debout; mais aujourd’hui, il est étendu sur cette couche que chaque nuit il doit mouiller de ses larmes, et de larmes si abondantes, qu’il obtienne de la bonté de Dieu le remède infaillible. « J’arroserai mon lit de mes pleurs », est une répétition ; car « mes pleurs » montrent comment il a dit plus haut : « Je laverai ». « Son lit » a le même sens que « sa couche », et toutefois, « j’arroserai » dit plus que « je laverai » : laver peut se borner à mouiller à la surface, tandis que l’arrosage pénètre dans l’intérieur, ce qui marquerait des larmes jusqu’aux profondeurs de l’âme. Le Prophète change les temps du verbe ; il a dit au passé : « Je me suis fatigué dans mes gémissements » ; puis au futur: « Chaque nuit je laverai ma couche », puis encore : « J’arroserai mon lit de mes larmes », afin de nous montrer ce qui nous reste à faire quand nous nous sommes fatigués en vain à gémir ; comme s’il disait : Ce que j’ai fait ne m’a servi de rien, voici désormais ce que je vais faire.

8. « Mon œil s’est troublé dans la colère (Psaume 6, 8 ) » : est-ce dans sa propre colère, ou cette colère de Dieu par laquelle il a demandé de n’être ni accusé ni repris ? Mais si la colère de Dieu signifie le jugement, comment l’entendre dès cette vie ? Ou cette colère commencerait dès cette vie, dans les douleurs et les maux des hommes, et surtout dans leur impuissance à comprendre la vérité, selon le mot de saint Paul cité plus haut : « Dieu les a livrés au sens réprouvé (Rom. I, 28) ». Tel est en effet l’aveuglement de l’esprit, que tout homme dans cet état se trouve privé de toute lumière intérieure de Dieu, mais pas absolument, tant que dure cette vie. Car il y a des ténèbres extérieures « qui sont réservées plus spécialement au jour du jugement, et qui éloigneront complètement de Dieu quiconque aura négligé de se corriger ici-bas. Mais être complètement en dehors de Dieu, qu’est-ce autre chose que l’aveuglement complet ? Car Dieu habite une lumière inaccessible (I Tim. VI, 16), et dans laquelle entreront ceux qu’il invitera, en disant : « Entrez dans la joie de votre Seigneur (Matt. XXV, 21, 22) ». Cette colère commence donc dès cette vie à peser sur tout pécheur. La crainte du dernier jugement arrache au Prophète des gémissements et des larmes ; il craint d’arriver à cette colère dont le commencement lui est déjà si douloureux ; aussi ne dit-il pas que « son œil s’est éteint », mais « qu’il a été troublé par cette colère ». Rien ne nous étonnerait encore s’il disait que son œil a été troublé par sa propre colère ; c’est peut-être en ce sens qu’il est dit : « Que le soleil ne se couche point sur votre colère (Ephés. IV, 26) » parce que l’âme, dans ce trouble, ne pouvant voir Dieu, s’imagine que cette sagesse divine, ce soleil intérieur est en quelque sorte couché pour elle.

9. « J’ai vieilli au milieu de tous mes ennemis (Psaume 6, 8) ». Il avait parlé de colère, si c’est toutefois de sa propre colère ; mais en considérant tous les autres vices, il trouve qu’il en est environné. Comme ces vices nous viennent de notre première vie et du vieil homme dont il faut nous dépouiller pour revêtir l’homme nouveau, le psalmiste dit fort bien : « J’ai vieilli ». « Au milieu de tous mes ennemis » peut s’entendre ou des vices, ou des hommes qui ne veulent point retourner à Dieu ; car ces hommes, quoiqu’à leur insu, malgré leurs ménagements, bien qu’ils vivent en paix avec nous, dans les mêmes villes, sous le même toit, à la même table, qu’ils s’entretiennent souvent et paisiblement avec nous ; ces hommes, par leurs intentions contraires aux nôtres, sont ennemis de quiconque veut retourner à Dieu. Car si les uns aiment le monde et s’y attachent, et que les autres désirent en être délivrés, qui ne voit que les premiers sont ennemis des seconds, qu’ils entraînent, quand ils peuvent, dans les mêmes châtiments ? Et c’est une grande faveur de Dieu d’entendre journellement leur conversation, et de ne point s’écarter de la voie des commandements de Dieu. Souvent une âme qui s’efforce d’aller à Dieu, se laisse ébranler et s’effraie dans sa route, et la plupart du temps elle abandonne ses résolutions, parce qu’elle craint d’offenser ceux qui vivent avec elle, et qui recherchent avidement les biens passagers et périssables. Tout cœur parfaitement sain s’en sépare non de lieu, mais d’affection; car l’amour est à l’âme ce qu’est pour les corps le lieu qui les contient.

10. Donc, après le labeur, le gémissement, et ces fréquentes effusions de larmes, comme on ne peut adresser en vain de si ferventes supplications à celui qui est la source de toutes les miséricordes, et dont il est dit, avec tant de vérité : « Le Seigneur est tout près des cœurs contrits (Ps. XXXIII, 19) » ; après ces difficultés donc, toute âme pieuse, ou même l’Eglise, si vous le voulez, témoigne qu’elle a été exaucée. Voyez donc ce qu’elle ajoute : « Retirez-vous de moi, vous tous, artisans d’iniquité, parce que le Seigneur a entendu la voix de mes larmes (Psaume 6, 9) ». Ou le prophète annonce qu’au jour du jugement, les impies devront s’éloigner des bons et en seront séparés : ou il leur dit de se séparer à l’instant ; car s’ils font partie avec nous des mêmes grappes, néanmoins, jusque dans l’aire, les grains sont déjà dépouillés et séparés de cette paille qui les recouvre encore. Ils peuvent bien être entassés ensemble, mais le vent ne peut les enlever ensemble.

11. « Parce que le Seigneur a écouté la voix de mes larmes, le Seigneur a entendu mes supplications, le Seigneur a reçu ma prière (Psaume 6, 10 ) ». Cette répétition fréquente de la même pensée indique moins chez le psalmiste la nécessité de ce langage que le transport de sa joie. Quiconque est dans l’allégresse ne se contente point de nous en dire une fois le motif. Tel est le fruit de ce gémissement douloureux qui lui fait mouiller sa couche de ses larmes, et arroser son lit : « Car on ne sème dans les larmes que pour moissonner dans la joie (Id. CXXV, 5) » ; et : « Bienheureux ceux qui pleurent, parce qu’ils seront consolés (Matt. V, 5) ! »

12. « Confusion et trouble pour tous mes ennemis (Psaume 6, 11 ) ». Naguère le Prophète disait : « Eloignez-vous tous de moi », ce qui peut avoir lieu en cette vie, comme nous l’avons vu ; mais quand il parle de « confusion et d’effroi », je ne vois pas que cela se puisse entendre autrement que du jour qui mettra en évidence la récompense des justes et le châtiment des pécheurs. Jusqu’à ce jour, en effet, l’impie est loin de rougir et de cesser de nous insulter. Souvent même ses moqueries en viennent jusqu’à faire rougir de Jésus-Christ les hommes faibles dans la foi. De là cette menace : « Quiconque aura rougi de moi devant les hommes, je rougirai de lui devant mon Père (Luc, IX, 26) ». Quiconque dès lors veut suivre les sublimes conseils de l’Evangile, de partager son bien, de le donner aux pauvres, afin de demeurer juste pour l’éternité (Ps. CXI, 9), de vendre ses possessions terrestres pour assister les indigents et suivre le Christ en disant : « Nous n’avons rien apporté en ce monde, nous n’en pouvons rien emporter : contentons-nous d’avoir de quoi vivre et nous vêtir (I Tim. VI, 7) » ; celui-là tombe sous les railleries sacrilèges des impies ; ceux qui repoussent le sens droit le traitent d’insensé. Souvent, pour éviter ce surnom de la part des incurables, il craint de faire, il remet au lendemain ce que prescrit le médecin le plus fidèle comme le plus puissant. Ceux-là donc ne peuvent rougir en cette vie; souhaitons au contraire qu’ils s’aient pas la puissance de nous faire rougir, de nous détourner du chemin que nous avons pris, de ne point nous y causer d’embarras ou de retard. Mais un temps viendra qu’ils rougiront et répéteront ces paroles de 1’Ecriture « Les voilà, ceux qui étaient l’objet de nos mépris et même de nos outrages. Insensés que nous étions, nous estimions leur vie une folie, et leur fin un opprobre : et les voilà comptés parmi les fils de Dieu, et leur partage est avec les saints ! Nous avons donc erré hors de la vérité, et la lumière de la justice n’a pas lui à nos yeux, et le soleil ne s’est pas levé pour nous. Nous nous sommes lassés dans la voie de l’iniquité et de la perdition ; nous avons marché par des chemins « difficiles, et nous avons ignoré la voie du Seigneur. A quoi bon notre orgueil, à quoi bon l’ostentation de nos richesses ? Toutes ces choses ont passé comme l’ombre (Sag. V, 3-9) ».

13. Dans ces paroles : « Qu’ils se convertissent pour leur confusion (Psaume 6, 11) », qui ne voit un juste châtiment qui tourne à leur confusion dans cette conversion qu’ils ont refusé de faire pour leur salut ? « Et cela bien vite », ajoute le Prophète : car ils ne compteront plus sur le jour du jugement, et comme ils diront : « La paix est à nous; une ruine soudaine les surprendra (I Thess. V, 3) ». Quel que soit le moment, ce que l’on n’attendait pas arrive toujours bien vite, et il n’y a que l’espérance de vivre encore qui nous fasse croire que cette vie est longue. Rien ne nous paraît plus rapide que ce qui en est déjà passé. Quand donc viendra le jour du jugement, alors les pécheurs sentiront combien est courte une vie qui passe ; et ils ne pourront croire qu’il ait été long à venir, ce jour qu’ils ne désiraient point, ou plutôt à l’arrivée duquel ils n’avaient point cru. On pourrait dire encore que l’âme dont Dieu a exaucé les gémissements et les pleurs si fréquents et si durables, sentant qu’elle est délivrée du péché, et qu’elle a dompté tous les mouvements pervers des sensuelles affections, en leur disant : « Retirez-vous de moi, artisans d’iniquité, parce que le Seigneur a exaucé la voix de mes larmes (Psaume 6, 9) », se trouve arrivée à cet état de perfection, où elle peut prier pour ses ennemis. C’est dans ce sens peut-être qu’il est dit : « Que tous mes ennemis soient dans la confusion et dans le trouble », afin qu’ils fassent pénitence de leurs fautes, ce qui est impossible sans trouble ni confusion. Rien n’empêche d’entendre les paroles suivantes : « Qu’ils se convertissent pour leur confusion », dans le sens d’un retour à Dieu et d’une confusion de s’être jadis glorifiés dans les ténèbres du péché, comme l’a dit l’Apôtre : « Quelle gloire avez-vous tirée de ce qui est maintenant pour vous un sujet de honte (Rom. VI, 21) ? » Cette autre expression, « et cela au plus vite », peut désigner la ferveur du désir ou se rapporter à la puissance du Christ qui, dans un temps si court, a converti à la foi de 1’Evangile, ces nations qui défendaient leurs idoles en persécutant l’Eglise.


Saint Augustin (354-430)

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